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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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d’arranger
l’affaire ; mais il lui fallait courir à Neauphle, et en conférer avec ses
commis.
    Il sortit dans la cour, pressa le
boiteux de seller son cheval, et partit pour le bourg. Point de Marie sur le
chemin. Tout en galopant, Guccio se demandait si vraiment la jeune fille était
aussi belle qu’il l’avait vue la veille, s’il ne s’était pas mépris sur les
promesses qu’il avait cru lire dans ses yeux, et si tout cela, qui n’était
peut-être qu’illusions de fin de dîner, méritait tant de hâte. Car il existe
des femmes qui, lorsqu’elles vous regardent, semblent se donner à vous dans le
premier instant ; mais c’est leur air naturel ; elles regardent un
meuble, un arbre, de la même façon et, finalement, ne donnent rien du tout…
    Guccio n’aperçut pas Marie sur la
place de Neauphle. Il jeta un coup d’œil sur les rues avoisinantes, entra dans
l’église, n’y resta que le temps d’un signe de croix, puis se rendit au
comptoir. Là, il accusa les commis de l’avoir mal renseigné. Les Cressay
étaient gens de qualité, tout à fait honorables et solvables. Il fallait
prolonger leur créance. Quant au prévôt, c’était une franche canaille… Tout en
parlant, Guccio ne cessait de regarder par la fenêtre. Les employés hochaient
la tête en contemplant ce jeune fou qui se déjugeait du lendemain sur la
veille, et ils pensaient que ce serait grande pitié si la banque lui tombait
tout à fait entre les mains.
    — Il se peut que je revienne
assez souvent ; ce comptoir a besoin d’être surveillé, leur dit-il en
guise d’adieu.
    Il sauta en selle, et les cailloux
volèrent sous les fers de son cheval. « Sans doute a-t-elle emprunté un
sentier de raccourci, se disait-il. Je la rejoindrai au château, mais il sera
malaisé de la voir seule…»
    Peu après la sortie du bourg, il
distingua une silhouette qui se hâtait vers Cressay, et il reconnut Marie.
Alors, brusquement, il entendit que les oiseaux chantaient, il découvrit que le
soleil brillait, qu’on était en avril, et que de petites feuilles tendres
couvraient les arbres. À cause de cette robe qui avançait entre deux prairies,
le printemps, auquel Guccio depuis trois jours n’avait pas accordé attention,
venait de lui apparaître.
    Il ralentit son cheval en arrivant à
la hauteur de Marie. Elle le regarda, pas tellement surprise de sa présence,
mais comme si elle venait de recevoir le plus beau cadeau du monde. La marche
lui avait coloré le visage, et Guccio reconnut qu’elle était plus belle encore
qu’il n’en avait jugé la veille.
    Il s’offrit à l’emmener en croupe.
Elle sourit pour acquiescer, et ses lèvres de nouveau s’entrouvrirent comme un
fruit. Guccio fit ranger son cheval contre le talus, et se pencha, présentant à
Marie son bras et son épaule. La jeune fille était légère ; elle se hissa
lestement, et ils partirent au pas. Un moment ils allèrent en silence. La
parole manquait à Guccio. Ce hâbleur, soudain, ne trouvait rien à dire.
    Il sentit que Marie osait à peine se
tenir à lui. Il lui demanda si elle était accoutumée à aller ainsi à cheval.
    — Avec mon père ou mes frères…
seulement, répondit-elle.
    Jamais encore elle n’avait cheminé
de la sorte, flanc contre dos, avec un étranger. Elle s’enhardit un peu et
assura mieux son étreinte.
    — Êtes-vous en hâte de
rentrer ? demanda-t-il.
    Elle ne répondit pas, et il engagea
son cheval dans un sentier de traverse.
    — Votre pays est beau,
reprit-il après un nouveau silence ; aussi beau que ma Toscane.
    Ce n’était pas seulement compliment
d’amoureux. Guccio découvrait avec ravissement la douceur de l’Ile-de-France,
ses collines, brodées de forêts, ses horizons bleutés, ses rideaux de peupliers
partageant de grasses prairies, et le vert plus laiteux, plus fragile des
seigles récemment levés, et ses haies d’aubépine où s’ouvraient des bourgeons
gommeux.
    Quelles étaient ces tours qu’on
apercevait au lointain, noyées dans une brume légère, vers le couchant ?
Marie eu beaucoup de peine à répondre que c’étaient les tours de
Montfort-l’Amaury.
    Elle éprouvait un mélange d’angoisse
et de bonheur qui l’empêchait de parler, qui l’empêchait de penser. Où
conduisait ce sentier ? Elle ne le savait plus. Vers quoi la menait ce
cavalier ? Elle ne le savait pas davantage. Elle obéissait à quelque chose
qui n’avait pas encore de nom, qui était plus fort que la

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