Le Roi de fer
repartir, on
n’insista pas trop pour le garder. Il était bien charmant cavalier, ce jeune
Lombard, et il avait rendu grand service… mais on ne le connaissait guère,
après tout. La créance était prolongée, c’était l’essentiel. Dame Eliabel
n’aurait pas de mal à se persuader que ses charmes y avaient aidé.
La seule personne qui désirait
vraiment que Guccio restât ne pouvait ni n’osait rien dire.
Pour dissiper la vague gêne qui
s’installait, on força Guccio d’emporter un quartier du chevreuil que les
frères avaient tué, et on lui fit promettre de revenir. Il promit, en regardant
Marie.
— Pour les intérêts de la
créance, je reviendrai, soyez certains, dit-il d’un ton jovial qui voulait
donner le change.
Son bagage bouclé, il se remit en
selle.
Le voyant s’éloigner en descendant
vers la Mauldre, madame de Cressay eut un fort soupir et déclara à ses fils,
moins pour eux que pour donner du fil à ses illusions :
— Mes enfants, votre mère sait
encore parler aux damoiseaux. J’ai fait bonne manœuvre avec celui-là, et vous
l’eussiez trouvé plus âpre si je ne l’avais point pris à part.
De peur de se trahir, Marie était
déjà rentrée dans la maison.
Sur la route de Paris, Guccio,
galopant, se considérait comme un séducteur irrésistible qui n’avait qu’à
paraître dans les châteaux pour y moissonner les cœurs. L’image de Marie dans
le clos des pommiers, auprès de la rivière, ne le quittait pas. Et il se
promettait de revenir à Neauphle, très vite, dans quelques jours peut-être…
Il arriva pour le souper rue des
Lombards et, jusqu’à une heure avancée, s’entretint avec son oncle Tolomei.
Celui-ci accepta sans peine les explications que Guccio lui donna au sujet de
la créance ; il avait d’autres soucis en tête. Mais il parut s’intéresser
spécialement aux agissements du prévôt Portefruit.
Toute la nuit, Guccio eut
l’impression que Marie habitait son sommeil. Le lendemain il y pensait déjà un
peu moins.
Il connaissait, à Paris, deux femmes
de marchands, jolies bourgeoises de vingt ans, qui ne lui étaient pas cruelles.
Au bout de quelques jours, il avait oublié sa conquête de Neauphle.
Mais les destins se forment
lentement et nul ne sait, parmi tous nos actes semés au hasard, lesquels
germeront pour s’épanouir, comme des arbres. Nul ne pouvait imaginer que le
baiser échangé au bord de la Mauldre conduirait la belle Marie jusqu’au berceau
d’un roi.
À Cressay, Marie commençait
d’attendre.
VI
LA ROUTE DE CLERMONT
Vingt jours plus tard, la petite cité
de Clermont-de-l’Oise connaissait une animation fort inhabituelle. Des portes
jusqu’au château royal, de l’église à la prévôté, il y avait grand mouvement de
peuple. On se bousculait dans les rues et dans les tavernes, avec une rumeur
joyeuse, et les tentures de procession flottaient aux fenêtres. Car les crieurs
publics avaient annoncé, tôt le matin, que Monseigneur de Poitiers, second fils
du roi, et son oncle, Monseigneur de Valois, venaient accueillir, au nom du
souverain, leur sœur et nièce, la reine Isabelle d’Angleterre.
Celle-ci, débarquée trois jours plus
tôt sur le sol de France, faisait route à travers la Picardie. Elle avait quitté
Amiens le matin ; si tout allait bien, elle parviendrait à Clermont en fin
d’après-midi. Elle y dormirait et, le lendemain, son escorte d’Angleterre
jointe à celle de France, elle se rendrait au château de Maubuisson, près
Pontoise, où son père, Philippe le Bel, l’attendait.
Peu avant vêpres, prévenus de
l’approche des princes français, le prévôt, le capitaine de ville et les
échevins passèrent la porte de Paris pour présenter les clefs. Philippe de
Poitiers et Charles de Valois, qui chevauchaient en tête, reçurent leur
bienvenue et pénétrèrent dans Clermont.
Derrière eux s’avançaient plus de
cent gentilshommes, écuyers, valets et gens d’armes, dont les chevaux
soulevaient grande poussière.
Une tête dominait toutes les autres,
celle de Robert d’Artois. À cavalier géant, monture géante. Ce colossal
seigneur, assis sur un énorme percheron rouan, et portant bottes rouges,
manteau rouge, cotte d’armes de soie rouge, attirait forcément les regards.
Alors que, chez maint cavalier, la fatigue était visible, lui restait droit en
selle comme s’il venait juste d’y monter.
En vérité, depuis le départ de
Pontoise, Robert d’Artois avait, pour
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