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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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disait-il.
    Les frères d’Aunay, la tête pleine
de rêves, allèrent reprendre leur place dans le défilé.
    Les cloches de toutes les églises de
Clermont, de toutes les chapelles, de tous les couvents, sonnaient à la volée,
et, de la petite ville en liesse, montaient déjà de longues clameurs de
bienvenue vers cette reine de vingt-deux ans qui apportait à la cour de France
le plus surprenant des malheurs.
     

VII

TEL PÈRE, TELLE FILLE
    Un chandelier d’argent niellé, sommé
d’un gros cierge entouré d’une couronne de chandelles, éclairait sur la table
la liasse de parchemins dont le roi venait d’achever l’examen. De l’autre côté
des fenêtres, le parc se dissolvait dans le crépuscule ; Isabelle, le
visage tourné vers la nuit, regardait l’ombre prendre les arbres un à un.
    Depuis Blanche de Castille,
Maubuisson, aux abords de Pontoise, était demeure royale et Philippe le Bel en
avait fait l’une de ses résidences habituelles. Il avait du goût pour ce
domaine silencieux, clos de hautes murailles, pour son parc, et pour son abbaye
où des sœurs bénédictines menaient une vie paisible rythmée par les offices
religieux. Le château lui-même n’était pas grand ; mais Philippe le Bel en
appréciait le calme.
    — C’est là que je prends
conseil de moi, avait-il déclaré un jour.
    Il y habitait avec sa famille et une
cour réduite.
    Isabelle était arrivée l’après-midi,
au terme de son voyage. Elle avait abordé ses trois belles-sœurs, Marguerite,
Jeanne et Blanche, avec un visage parfaitement souriant, et répondu d’un ton de
circonstance à leurs paroles d’accueil.
    Le souper avait été bref. Et
maintenant Isabelle était enfermée tête à tête avec son père dans la pièce où
il aimait à s’isoler. Le roi Philippe l’observait de ce regard glacé dont il
contemplait toute créature humaine, fût-ce sa propre enfant. Il attendait
qu’elle parlât ; elle n’osait pas. « Je vais lui faire tant de mal »,
pensait-elle. Et soudain, à cause de cette présence, de ce parc, de ces arbres,
de ce silence, il vint à Isabelle une grande bouffée de souvenirs d’enfance, en
même temps que de pitié pour elle-même.
    — Mon père, dit-elle, mon père,
je suis malheureuse. Ah ! Comme la France me semble loin depuis que je
suis reine d’Angleterre ! Et comme j’ai le regret des jours qui ne sont
plus !
    Elle eut à se défendre contre la
tentation des larmes.
    — Est-ce pour m’informer de
ceci, Isabelle, que vous avez entrepris ce long voyage ? demanda le roi
d’une voix sans chaleur.
    — Si ce n’est à mon père, à qui
dirai-je que je n’ai pas de bonheur ? répondit-elle.
    Le roi regarda la fenêtre,
maintenant obscure, et dont le vent faisait vibrer les vitraux ; puis il
regarda les chandelles, puis le feu.
    — Le bonheur… dit-il lentement.
Qu’est-ce donc que le bonheur, ma fille, sinon de convenir à notre
destinée ?
    Ils étaient assis face à face sur
des sièges de chêne.
    — Je suis reine, il est vrai,
dit-elle à voix basse. Mais est-ce qu’on me traite en reine là-bas ?
    — Vous fait-on du tort ?
    Il avait mis peu de surprise dans sa
question, sachant trop ce qu’elle allait répondre.
    — Ignorez-vous à qui vous
m’avez mariée ? dit-elle. Est-ce un mari, celui qui déserte mon lit depuis
le premier jour ? À qui ni les soins, ni les égards, ni les sourires qui
lui viennent de moi, n’arrachent un mot ? Qui me fuit comme si j’étais
affligée de la lèpre et distribue, non pas même à des favorites, mais à des
hommes, mon père, à des hommes, les faveurs qu’il m’a ôtées ?
    Philippe le Bel connaissait tout
cela depuis longtemps, et depuis longtemps aussi sa réponse était prête.
    — Je ne vous ai point mariée à
un homme, Isabelle, mais à un roi. Je ne vous ai point sacrifiée par erreur.
Est-ce à vous que je dois apprendre ce que nous devons à nos États, et que nous
ne sommes point nés pour nous laisser aller à nos douleurs de personnes ?
Nous ne vivons point nos propres vies, mais celles de nos royaumes, et c’est
par là seulement que nous pouvons trouver notre contentement… si nous convenons
à notre destinée.
    En parlant, il s’était rapproché du
chandelier. La lumière accusait les reliefs ivoirins de son beau visage.
    « Je n’aurais pu aimer qu’un
homme qui lui ressemblât, pensa Isabelle. Et jamais je n’aimerai, car jamais je
ne trouverai d’homme à sa

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