Le Roi de fer
semblance. »
Puis à haute voix :
— Ce n’est point pour pleurer
sur mes maux que je suis venue en France, mon père. Mais je suis aise que vous
m’ayez rappelé ce respect de soi qui convient aux personnes royales, et aussi
que le bonheur n’est point ce que nous devons poursuivre. J’aimerais seulement
qu’autour de vous chacun en pensât autant.
— Pourquoi êtes-vous
venue ?
Elle prit son souffle :
— Parce que mes frères ont
épousé des garces, mon père, que je l’ai su, et que je suis aussi âpre que vous
à défendre l’honneur.
Philippe le Bel soupira.
— Vous n’aimez pas, je le sais,
vos belles-sœurs. Mais ce qui vous en sépare…
— Ce qui m’en sépare, mon père,
c’est l’honnêteté. Je sais des choses que l’on vous a cachées. Écoutez-moi, car
je ne vous apporte point seulement des mots. Connaissez-vous le jeune messire
Gautier d’Aunay ?
— Ils sont deux frères que je
confonds toujours. Leur père fut avec moi en Flandre. Celui dont vous me parlez
a épousé une Montmorency, n’est-il pas vrai ? Et il est à mon fils
Poitiers, comme écuyer…
— Il est également à votre bru
Blanche, mais d’une autre façon. Son frère cadet Philippe, qui est à mon oncle
Valois…
— Oui, dit le roi, oui…
Un léger pli horizontal partageait
son front ordinairement dépourvu de toute ride.
— … Eh bien !
Celui-là est à Marguerite, que vous avez choisie pour être un jour reine de
France. Quant à Jeanne, on ne lui nomme pas d’amant ; mais on sait au
moins qu’elle couvre les plaisirs de sa sœur et de sa cousine, protège les visites
de leurs galants à la tour de Nesle, et s’acquitte très bien d’un métier qui a
un fort vieux nom… Et apprenez que toute la cour en parle, sauf à vous.
Philippe le Bel leva la main.
— Vos preuves, Isabelle ?
— Vous les trouverez à la
ceinture des frères d’Aunay. Vous y verrez pendre des aumônières que j’ai
envoyées l’autre mois à mes belles-sœurs et que j’ai reconnues hier, sur ces
gentilshommes, dans l’escorte qui m’a menée ici. Je ne m’offense pas du peu de
cas que vos brus font de mes présents. Mais de tels joyaux accordés à des
écuyers ne peuvent être que le paiement d’un service. Cherchez le service. S’il
vous faut d’autres faits, je crois pouvoir facilement vous les fournir.
Philippe le Bel regardait sa fille.
Elle avait porté son accusation sans
hésiter, sans faiblir, avec au fond des yeux quelque chose de déterminé,
d’irréductible où il se retrouvait. Elle était vraiment sa fille.
Il se leva, et resta un long moment
debout devant la fenêtre.
— Venez, dit-il enfin. Allons
chez elles.
Il ouvrit la porte, traversa une pièce
sombre, poussa une seconde porte qui donnait sur le chemin de ronde. D’un coup,
le vent de la nuit les enveloppa, faisant battre et flotter derrière eux leurs
amples vêtements. De courtes rafales secouaient les ardoises du toit. D’en bas,
montait l’odeur de la terre humide. Devant les pas du roi et de sa fille, des
archers se levaient le long des créneaux.
Les trois brus avaient leurs
appartements dans l’autre aile du château de Maubuisson. Quand il se trouva
devant la porte des princesses, Philippe le Bel s’arrêta un instant. Il écouta.
Des rires et de petits cris de joie lui parvenaient à travers le vantail de
chêne. Il regarda Isabelle.
— Il faut, dit-il.
Isabelle inclina la tête sans
répondre. Le roi ouvrit la porte.
Marguerite, Jeanne et Blanche poussèrent
un cri de surprise, et leurs rires se cassèrent net.
Elles étaient en train de jouer avec
des marionnettes ; elles reconstituaient une scène inventée par elles et
qui, réglée par un maître jongleur, les avait fort diverties un jour, à
Vincennes, mais dont le roi s’était irrité.
Les marionnettes étaient faites à
l’image des principaux personnages de la cour. Le petit décor représentait la
chambre du roi, où celui-ci figurait, couché dans un lit paré d’un drap d’or.
Monseigneur de Valois frappait à la porte et demandait à parler à son frère.
Hugues de Bouville, le grand chambellan, répondait que le roi ne voulait parler
à personne, et avait défendu qu’on le dérangeât. Monseigneur de Valois s’en
repartait tout en colère. Venaient ensuite cogner à l’huis les marionnettes de
Louis de Navarre et du prince Charles. Bouville faisait aux fils du roi la même
réponse. Enfin, précédé de trois
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