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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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sergents massiers, se présentait Enguerrand de
Marigny ; aussitôt on lui ouvrait la porte tout grand, en lui disant :
« Monseigneur, soyez le bienvenu. Le roi a désir de vous voir. »
    Cette satire avait paru déplacée à
Philippe le Bel ; il avait interdit qu’on la répétât. Mais les jeunes
princesses passaient outre, en secret, y prenant d’autant plus de plaisir que
c’était amusement défendu.
    Elles variaient le texte et
renchérissaient de trouvailles et de moqueries, surtout quand elles maniaient
les marionnettes qui représentaient leurs maris.
    Elles furent, à l’entrée du roi et
d’Isabelle, comme trois écolières prises en faute. En hâte, Marguerite ramassa
un surcot qui traînait sur un siège et le revêtit pour couvrir sa gorge trop
dénudée. Blanche releva ses tresses qu’elle avait dérangées en simulant le
courroux de l’oncle Valois.
    Jeanne, qui gardait le mieux son
calme, dit vivement :
    — Nous avons fini, Sire, nous
avons juste fini ; mais vous auriez pu tout entendre sans qu’il y eût
motif à vous courroucer. Nous allons tout ranger.
    Elle frappa dans ses mains.
    — Holà ! Beaumont,
Comminges, mes bonnes…
    — Inutile d’appeler vos dames,
dit brièvement le roi.
    Il avait à peine regardé leur
jeu ; il les regardait, elles. La plus jeune, Blanche, avait dix-huit ans,
les deux autres vingt et un. Il les avait vues grandir, embellir, depuis
qu’elles étaient arrivées, chacune environ sa douzième ou treizième année, pour
épouser l’un de ses fils. Mais elles ne semblaient pas avoir acquis plus de
cervelle qu’elles n’en possédaient alors. Elles jouaient encore avec des
marionnettes… Se pouvait-il que si grande malice de femme logeât dans ces êtres
là, qui lui semblaient toujours des enfants ? « Peut-être,
pensa-t-il, je ne connais rien aux femmes. »
    — Où sont vos époux ?
demanda-t-il.
    — Dans la salle d’armes, Sire
mon père, dit Jeanne.
    — Vous le voyez, je ne suis pas
venu seul, reprit-il. Vous dites souvent que votre belle-sœur ne vous aime
point. Et pourtant on me rapporte qu’elle vous a fait à chacune un fort beau
présent…
    Isabelle vit comme une lueur
s’éteindre dans les yeux de Marguerite et de Blanche.
    — Voulez-vous, poursuivit
lentement Philippe le Bel, me montrer ces aumônières que vous avez reçues
d’Angleterre ?
    Le silence qui suivit sépara le
monde en deux. Il y avait d’un côté le roi de France, la reine d’Angleterre, la
cour, les barons, les royaumes ; et puis, de l’autre, trois femmes fautives
et découvertes pour lesquelles commençait un long cauchemar.
    — Eh bien mes filles ! dit
le roi. Pourquoi ne répondez-vous ?
    Il continuait de les regarder
fixement, de ses yeux immenses, dont les paupières ne battaient pas.
    — J’ai laissé mon aumônière à
Paris, dit Jeanne.
    — Moi de même, moi de même,
dirent aussitôt les deux autres.
    Philippe le Bel, lentement, se
dirigea vers la porte. Ses belles-filles, blêmes, observaient ses gestes.
    La reine Isabelle s’était adossée au
mur, et respirait à petits coups. Le roi dit, sans se retourner :
    — Puisque ces aumônières sont à
Paris, nous enverrons deux écuyers les prendre sur-le-champ.
    Il ouvrit la porte, appela un homme
de garde et lui commanda d’aller quérir les frères d’Aunay.
    Blanche n’y résista pas. Elle se laissa
choir sur un tabouret, la tête vidée de sang, le cœur arrêté et son front
s’inclina de côté, comme si elle défaillait. Jeanne la secoua par le bras pour
l’obliger à se ressaisir.
    Marguerite, de ses petites mains
brunes, tordait machinalement le cou d’une marionnette.
    Isabelle ne bougeait pas. Elle
sentait sur elle les regards de Marguerite et de Jeanne ; son rôle de
délatrice lui devenait lourd à porter. Elle éprouva soudain une grande fatigue.
« J’irai jusqu’au bout », pensa-t-elle.
    Les frères d’Aunay entrèrent,
empressés, confus, se bousculant presque dans leur désir de bien servir et de
se faire valoir.
    Isabelle étendit la main.
    — Mon père, dit-elle, ces
gentilshommes semblent avoir prévenu votre souhait, puisque voici qu’ils
apportent, pendues à leurs ceintures, les aumônières que vous demandiez à voir.
    Philippe le Bel se tourna vers ses
brus.
    — Pouvez-vous me faire
connaître comment ces écuyers se trouvent pourvus des présents que vous a faits
votre belle-sœur ?
    Aucune ne répondit.
    Philippe d’Aunay

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