Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
regarda Isabelle
avec étonnement, tel un chien qui ne comprend pas pourquoi on le bat, puis
tourna les yeux vers son aîné, en cherchant protection. Gautier avait la bouche
entrouverte.
    — Gardes ! Au roi !
cria Philippe le Bel.
    Sa voix fit passer le froid dans
l’échine des assistants, et se répercuta, insolite, terrible, à travers le
château et la nuit. Depuis plus de dix ans, depuis la bataille de
Mons-en-Pévèle exactement, où il avait rameuté ses troupes et forcé la
victoire, on ne l’avait jamais entendu crier, et l’on ne se rappelait plus
qu’il pût avoir cette force dans la gorge. Ce furent d’ailleurs les seuls mots
qu’il prononça ainsi.
    — Appelez votre capitaine,
dit-il à l’un des hommes qui accouraient.
    Aux autres, il commanda de se tenir
sur la porte. On entendit une lourde galopade le long du chemin de ronde, et,
un moment après, messire Alain de Pareilles entra, tête nue, achevant de se
harnacher.
    — Messire Alain, lui dit le
roi, saisissez-vous de ces deux écuyers. Au cachot et aux fers. Ils auront à
répondre devant ma justice. Gautier d’Aunay voulut s’élancer.
    — Sire, balbutia-t-il, Sire…
    — Il suffit, dit Philippe le
Bel. C’est à messire de Nogaret que vous devrez parler à présent… Messire
Alain, reprit-il, les princesses seront gardées ici par vos hommes, jusqu’à
nouvel avis. Défense à elles de sortir. Défense à quiconque, à leurs servantes,
à leurs parents, même à leurs époux, de pénétrer céans, ou de parler avec
elles. Vous m’en répondrez.
    Si surprenants que fussent ces
ordres, Alain de Pareilles les entendit sans broncher. Rien ne pouvait étonner
l’homme qui avait arrêté le grand-maître des Templiers. La volonté du roi était
sa seule loi.
    — Allons, messires, dit-il aux
deux frères en leur désignant la porte.
    Gautier, se mettant en marche,
murmura :
    — Prions Dieu, Philippe ;
tout est fini…
    Leurs pas, couverts par ceux des
hommes d’armes, décrurent sur les dalles.
    Marguerite et Blanche écoutèrent ce
roulement de semelles qui emportait leurs amours, leur honneur, leur fortune,
leur vie tout entière. Jeanne se demandait si elle parviendrait jamais à se
disculper. Marguerite, brusquement, jeta dans le feu la marionnette déchirée.
Blanche, de nouveau, était au bord de s’évanouir.
    — Viens, Isabelle, dit le roi.
    Ils sortirent. La jeune reine
d’Angleterre avait vaincu ; mais elle se sentait lasse, et étrangement
émue parce que son père lui avait dit : « Viens, Isabelle. »
C’était la première fois qu’il la tutoyait depuis le temps de sa petite
enfance.
    Ils reprirent, l’un suivant l’autre,
le chemin de ronde. Le vent d’est poussait dans le ciel d’énormes nuages
sombres. Le roi repassa par son cabinet, se saisit du chandelier d’argent, et
partit à la recherche de ses fils. Sa grande ombre s’enfonça dans un escalier à
vis. Son cœur lui semblait pesant, et il ne sentait pas les gouttes de cire qui
coulaient sur ses doigts.
     

VIII

MAHAUT DE BOURGOGNE
    Vers le milieu de la même nuit, deux
cavaliers, qui avaient fait partie de l’escorte d’Isabelle, s’éloignèrent du
château de Maubuisson. C’étaient Robert d’Artois et son serviteur Lormet, à la
fois valet, confident, compagnon d’armes et de route, et fidèle exécuteur de
toutes besognes.
    Transfuge, pour quelque pendable
raison, de la maison des comtes de Bourgogne, Lormet le Dolois, depuis que
Robert se l’était attaché, n’avait pratiquement pas quitté ce dernier d’une
minute ni d’une semelle. C’était merveille que de voir ce petit homme rond,
râblé et déjà grisonnant, s’inquiéter en toute occasion de son jeune géant de
maître, et le suivre pas à pas pour le seconder en toute entreprise, comme il
l’avait fait récemment dans le guet-apens tendu aux frères d’Aunay.
    Le jour se levait lorsque les deux
cavaliers arrivèrent aux portes de Paris. Ils mirent au pas leurs chevaux
fumants, et Lormet bâilla une bonne dizaine de fois. À cinquante ans passés, il
résistait mieux qu’un jeune écuyer aux longues courses à cheval, mais le manque
de sommeil l’accablait.
    Sur la place de Grève se faisait le
rassemblement habituel des manœuvres en quête de travail. Contremaîtres des
chantiers du roi et patrons mariniers circulaient entre les groupes pour
embaucher aides, débardeurs, et commissionnaires. Robert d’Artois traversa la
place et s’engagea dans

Weitere Kostenlose Bücher