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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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l’instant de nous larder de traits. Le malheur qui s’abat sur notre
famille ne souffre pas qu’on plaisante.
    — Quel malheur pour l’un de
nous pourrait être un malheur pour l’autre ? dit Mahaut avec un calme
cynisme.
    — Ma tante, nous sommes dans la
main du roi.
    Mahaut laissa paraître un peu
d’inquiétude dans son regard. Elle se demandait quel piège on pouvait bien lui
tendre, et ce que signifiait tout ce préambule.
    D’un geste qui lui était familier,
elle retroussa ses manches sur ses avant-bras fort gras et charnus. Puis elle plaqua
la main sur la table et appela :
    — Thierry !
    — Je ne saurais parler devant
personne d’autre que vous, s’écria Robert. Ce que je viens vous apprendre
touche à notre honneur.
    — Bah ! Tu peux tout dire
devant mon chancelier.
    Elle se méfiait et voulait un
témoin.
    Un court instant, ils se mesurèrent
du regard, elle attentive, lui se délectant de la comédie qu’il jouait.
« Appelle donc ton monde, pensait-il. Appelle, et que chacun
entende. »
    C’était chose singulière que de voir
s’observer, se jauger, s’affronter ces deux êtres qui avaient tant de traits en
commun, ces deux taureaux de même espèce et de même sang, qui se ressemblaient
si fort et se détestaient si bien.
    La porte s’ouvrit et Thierry
d’Hirson parut. Chanoine capitulaire de la cathédrale d’Arras, chancelier de
Mahaut et un peu aussi son amant, ce petit homme bouffi, au visage rond, au nez
pointu et blanc, ne manquait pas d’assurance ni d’autorité.
    Il salua Robert et lui dit, le
regardant par-dessous les paupières, ce qui le forçait à tenir la tête très en
arrière :
    — C’est chose rare que votre
visite, Monseigneur.
    — Mon neveu a, paraît-il, un
grave malheur à m’apprendre, dit Mahaut.
    — Hélas ! fit Robert en se
laissant choir sur un siège.
    Il prit un temps ; Mahaut
commençait à trahir quelque impatience.
    — Nous avons eu ensemble des
différends, ma tante… reprit-il.
    — Bien plus, mon neveu ;
de très vilaines querelles, et qui se sont terminées sans avantage pour vous.
    — Certes, certes, et Dieu m’est
témoin que je vous ai souhaité tout le mal possible.
    Il reprenait sa ruse favorite, la
bonne grosse franchise avec l’aveu de ses mauvaises intentions, pour dissimuler
l’arme qu’il tenait en main.
    — Mais jamais je ne vous aurais
souhaité cela, continua-t-il. Car vous me savez bon chevalier, et ferme sur
tout ce qui touche à l’honneur.
    — Mais qu’est-ce, à la
fin ? Parle donc ! s’écria Mahaut.
    — Vos filles, mes cousines,
sont convaincus d’adultère, et arrêtées sur l’ordre du roi, et Marguerite avec
elles.
    Mahaut n’accusa pas tout de suite le
coup. Elle n’y croyait pas.
    — De qui tiens-tu cette
fable ?
    — De moi-même, ma tante ;
et toute la cour à Maubuisson en sait autant. Cela s’est passé à la nuit
tombée.
    Il prit plaisir à user les nerfs de
Mahaut, ne lui livrant l’affaire que bribe après bribe, ou tout au moins ce
qu’il voulait lui en laisser savoir.
    — Ont-elles avoué ?
demanda Thierry d’Hirson, toujours regardant par-dessous ses paupières.
    — Je ne sais, répondit Robert.
Mais les jeunes d’Aunay sont, en ce moment, en train d’avouer pour elles entre
les mains de votre ami Nogaret.
    — Mon ami Nogaret… répéta
lentement Thierry d’Hirson. Seraient-elles innocentes, avec lui elles sortiront
plus noires que la poix.
    — Ma tante, reprit Robert, j’ai
fait en pleine nuit les dix lieues de Pontoise à Paris pour venir vous avertir,
car personne ne songeait à le faire. Croyez-vous encore que ce soient de
mauvais sentiments qui m’amènent ?
    Mahaut observa son neveu un instant,
et dans le drame où elle se trouvait, pensa : « Peut-être est-il
capable parfois d’un bon mouvement. »
    Puis, d’un ton bourru, elle lui
dit :
    — Veux-tu manger ?
    À ce seul mot, Robert comprit
qu’elle était vraiment frappée.
    Il saisit sur la table un faisan
froid qu’il rompit en deux, avec les mains, et dans lequel il commença de
mordre. Soudain, il vit sa tante changer étrangement de couleur. D’abord le
haut de sa gorge, au-dessus de la robe bordée d’hermine, devint rouge écarlate,
puis le cou, puis le bas du visage. On voyait le sang lui envahir la face,
atteindre le front et le faire virer au cramoisi. La comtesse Mahaut porta la
main à sa poitrine.
    « Nous y sommes, pensa Robert.
Elle en crève. Elle

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