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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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va crever ! »
    Il fut bientôt déçu, car la comtesse
se dressa, balayant d’un grand geste du bras pâté de lièvre, timbales et plats
d’argent qui allèrent rouler au sol avec fracas.
    — Les garces !
hurla-t-elle. Après tout ce que j’ai fait pour elles, après les mariages que je
leur ai arrangés… Se faire pincer comme des ribaudes. Eh bien ! Qu’elles
perdent tout ! Qu’on les enferme, qu’on les empale, qu’on les pende !
    Le chanoine-chancelier ne bougeait
pas. Il avait l’habitude des fureurs de la comtesse.
    — Voyez-vous, c’est tout juste
ce que je pensais, ma tante, dit Robert la bouche pleine. C’est bien mal vous
remercier de toute votre peine…
    — Il faut que j’aille à Pontoise
sur l’heure, dit Mahaut sans l’entendre. Il faut que je les voie et leur
souffle ce qu’elles doivent répondre.
    — Je doute que vous y
parveniez, ma tante. Elles sont au secret, et nul ne peut…
    — Alors, je parlerai au roi.
Béatrice ! Béatrice ! appela-t-elle.
    Une tenture se souleva ; une
grande fille d’une vingtaine d’années, brune, la poitrine ronde et ferme, la
hanche marquée, la jambe longue, entra sans se presser. Dès qu’il l’aperçut,
Robert d’Artois se sentit de l’appétit pour elle.
    — Béatrice, tu as tout entendu,
n’est-ce pas ? demanda Mahaut.
    — Oui… Madame… répondit la
jeune fille d’une voix un peu narquoise, qui traînait sur la fin des mots.
J’étais derrière la porte… comme de coutume…
    Cette curieuse lenteur qu’elle avait
dans la voix, dans les gestes, elle l’avait aussi dans la manière de se
déplacer et de regarder. Elle donnait une impression de mollesse onduleuse et
d’anormale placidité ; mais l’ironie lui brillait aux yeux, entre de longs
cils noirs. Le malheur des autres, leurs luttes et leurs drames devaient
sûrement la réjouir.
    — C’est la nièce de Thierry,
dit Mahaut à Robert, en la désignant. J’en ai fait ma première demoiselle de
parage.
    Béatrice d’Hirson dévisageait Robert
d’Artois avec une sournoise impudeur. Elle était visiblement curieuse de
connaître ce géant dont elle avait tant entendu parler comme d’un être
malfaisant.
    — Béatrice, reprit Mahaut, fais
atteler ma litière et seller six chevaux. Nous partons pour Pontoise.
    Béatrice continuait de regarder
Robert dans les yeux, et l’on eût pu croire qu’elle n’avait pas écouté. Il y
avait chez cette belle fille quelque chose d’irritant et de trouble. Elle
établissait avec les hommes, dès le premier abord, une relation d’immédiate
complicité, comme si elle ne devait leur opposer aucune résistance. Mais en
même temps, elle leur faisait se demander si elle était complètement stupide ou
si elle se moquait paisiblement d’eux.
    « Belle gueuse… J’en ferais
bien mon passe-temps d’un soir », pensa Robert tandis qu’elle sortait sans
hâte.
    Du faisan, il ne restait qu’un os
qu’il jeta dans le feu. À présent, Robert avait soif. Il prit sur une crédence
l’aiguière dont Mahaut s’était servie, et se versa une grande rasade dans la
gorge.
    La comtesse marchait de long en
large, retroussant ses manches.
    — Je ne vous laisserai pas
seule de ce jour, ma tante, dit d’Artois. Je vous accompagne. C’est un devoir
de famille.
    Mahaut leva les yeux vers lui,
encore un peu soupçonneuse. Puis elle se décida enfin à lui tendre les mains.
    — Tu m’as été souvent à
nuisance, Robert, et je gage que tu me le seras encore. Mais aujourd’hui, je
dois le reconnaître, tu te conduis comme un brave garçon.
     

IX

LE SANG DES ROIS
    Dans la cave longue et basse du vieux
château de Pontoise, où Nogaret venait d’interroger les frères d’Aunay, le jour
commençait à pénétrer faiblement. Un coq chanta, puis deux, et un vol de
passereaux fila au ras des soupiraux que l’on avait ouverts pour renouveler
l’air. Une torche fixée au mur grésillait, ajoutant son odeur âcre à celle des
corps torturés. Guillaume de Nogaret dit, d’une voix lasse :
    — La torche.
    L’un des bourreaux se détacha du mur
où il s’appuyait pour se reposer, et alla prendre dans un coin de la cave une
torche neuve ; il l’enflamma aux braises d’un trépied où rougissaient les
fers, maintenant inutiles, de la torture. Il ôta de son support la torche usée
qu’il éteignit, et la remplaça par la torche neuve. Puis il regagna sa place,
auprès de son compagnon. Les deux

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