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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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vers les appartements, et le garde des Sceaux se trouva face à face avec
la famille royale.
    Philippe le Bel était assis, le
coude appuyé au bras de son siège, le menton dans la main. Des poches bleues se
dessinaient sous ses yeux. Auprès de lui se tenait Isabelle ; les deux
nattes dorées qui encadraient son visage en accentuaient la dureté. Elle était
l’ouvrière du malheur. Elle partageait au regard des autres la responsabilité
du drame et, par cet étrange lien qui unit le délateur au coupable, elle se
sentait presque en accusation.
    Monseigneur de Valois tapotait
nerveusement le bord d’une table et balançait la tête comme si quelque chose
l’eût gêné au col. Le second frère du roi, ou plus précisément son demi-frère,
Monseigneur Louis de France, comte d’Evreux, au maintien calme, aux vêtements
sans éclat, était présent également.
    Enfin se trouvaient groupés, dans
leur commune infortune, les principaux intéressés, les trois fils du roi, les trois
époux, sur lesquels venait de s’abattre la catastrophe en même temps que le
ridicule : Louis de Navarre, secoué de quintes nerveuses ; Philippe
de Poitiers roidi par l’effort de calme qu’il s’imposait ; Charles enfin,
ses beaux traits adolescents ravagés par le premier chagrin.
    — Est-ce chose avouée,
Nogaret ? demanda Philippe le Bel.
    — Hélas, Sire, c’est chose
honteuse, affreuse et avouée.
    — Faites-nous lecture.
    Nogaret ouvrit la chemise de vélin
et commença :
    — « Nous, Guillaume de
Nogaret, chevalier, secrétaire général du royaume et gardien des Sceaux de
France par la grâce de notre bien-aimé Sire, le roi Philippe quatrième, avons,
sur l’ordre d’icelui, ce jour, vingt-cinquième d’avril mille trois cent
quatorze, entre minuit et prime, au château de Pontoise, ouï sous la question
donnée avec l’assistance des tourmenteurs de la prévôté de ladite ville les
sires Gautier d’Aunay, bachelier de Monseigneur Philippe, comte de Poitiers, et
Philippe d’Aunay, écuyer de Monseigneur Charles, comte de Valois…»
    Nogaret aimait le travail bien fait.
Certes, les deux d’Aunay avaient d’abord nié ; mais le garde des Sceaux
avait une manière de conduire les interrogatoires devant laquelle les scrupules
de galanterie ne pouvaient tenir longtemps. Il avait obtenu des jeunes gens des
aveux complets et circonstanciés. Le temps où les aventures des princesses
avaient commencé, les dates des rencontres, les nuits à la tour de Nesle, les
noms des serviteurs complices, et tout ce qui, pour les coupables, avait
représenté passion, fièvre et plaisir, était énuméré, consigné, détaillé, étalé
dans les minutes de l’interrogatoire.
    Isabelle osait à peine regarder ses
frères, et eux-mêmes hésitaient à se regarder entre eux. Pendant près de quatre
ans, ils avaient été ainsi bernés, roulés, enfarinés ; chaque parole de
Nogaret les accablait de malheur et de honte.
    L’énoncé des dates posait à Louis de
Navarre une question terrible : « Pendant les six premières années de
notre mariage, nous n’avons pas eu d’enfant. Il ne nous en est venu qu’après
que ce d’Aunay est entré dans le lit de Marguerite… Alors la petite Jeanne…» Et
il n’entendait plus rien, parce qu’il ne faisait que se répéter, dans un grand
bourdonnement de sang qui lui bruissait aux oreilles : « Ma fille
n’est pas de moi… Ma fille n’est pas de moi…»
    Le comte de Poitiers, lui,
s’efforçait de ne rien perdre de la lecture. Nogaret n’avait pu faire dire aux
frères d’Aunay que la comtesse de Poitiers ait eu un amant, ni leur arracher un
nom. Or, après tout ce qu’ils avaient avoué, on pouvait bien penser que ce nom,
s’ils l’avaient connu, cet amant, s’il avait existé, ils l’eussent livré. Que
la comtesse Jeanne ait joué un rôle de complicité assez infâme n’était pas
douteux… Philippe de Poitiers réfléchissait.
    — « Considérant avoir
suffisamment éclairé la cause, et la voix des prisonniers devenant inaudible,
nous avons décidé de clore la question, pour en faire rapport au roi notre
Sire. »
    Le garde des Sceaux avait achevé. Il
rangea ses feuillets et attendit.
    Au bout de quelques instants, Philippe
le Bel souleva le menton de dessus sa paume.
    — Messire Guillaume, dit-il,
vous nous avez clairement instruit de choses douloureuses. Quand nous aurons
jugé, vous détruirez ceci…
    Il désigna la chemise de

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