Le Roi de fer
s’il
craignait d’avoir été deviné. Mais ce n’était pas à lui, c’était à son
troisième fils que Philippe le Bel s’adressait.
Le jeune prince écarta les mains de
devant sa figure. Il pleurait.
— Blanche, Blanche !
Comment est-il possible, mon père ? Comment a-t-elle pu ?… gémit-il.
Elle me disait si fort qu’elle m’aimait ; elle me le prouvait si
bellement…
Isabelle eut un mouvement d’impatience
et de mépris. « Cet amour des hommes pour les corps qu’ils ont possédés,
pensa-t-elle, et cette aisance avec laquelle ils croient le mensonge, pourvu
qu’ils aient le ventre qu’ils désirent ! »
— Charles… insista le roi,
comme s’il parlait à un faible d’esprit. Que conseillez-vous qu’on fasse de
votre épouse ?
— Je ne sais, mon père, je ne
sais. Je veux me cacher, je peux partir, je veux entrer dans un couvent.
C’était lui bientôt qui allait
demander châtiment parce que sa femme l’avait trompé.
Philippe le Bel comprit qu’il n’en
tirerait rien de plus. Il regardait ses enfants comme s’il ne les avait jamais
vus ; il réfléchissait sur l’ordre de primogéniture, et se disait que la
nature, parfois, servait bien mal le trône. Que de sottises pourrait accomplir
à la tête du royaume cet irréfléchi, impulsif et cruel, qu’était Louis, son
aîné ? Et de quel soutien pourrait lui être le puîné, qui s’effondrait dès
son premier drame ? Le mieux doué pour régner était à coup sûr Philippe de
Poitiers. Mais Louis ne l’écouterait guère, cela se devinait.
— Ton conseil, Isabelle ?
demanda-t-il à sa fille, assez bas, en se penchant vers elle.
— Femme qui a failli,
répondit-elle, doit être à jamais écartée de transmettre le sang des rois. Et
le châtiment doit être connu du peuple, afin qu’on sache que le crime est puni
sur femme ou fille de roi plus durement que sur la femme d’un serf.
— C’est bien pensé, dit le roi.
De tous ses enfants, c’était elle,
en vérité, qui eût fait le meilleur souverain.
— Justice sera rendue avant
vêpres, dit le roi en se levant.
Et il se retira pour aller, comme
toujours, consulter sa décision dernière avec Marigny et Nogaret.
X
LE JUGEMENT
Durant tout le trajet de Paris à
Pontoise, la comtesse Mahaut, dans sa litière, chercha des arguments propres à
fléchir le courroux du roi. Mais elle parvenait mal à fixer ses idées. Trop de
pensées l’habitaient, trop de craintes, trop de colère aussi contre la folie de
ses filles, contre la bêtise de leurs maris, contre l’imprudence de leurs
amants, contre tous ceux qui par légèreté, aveuglement ou quête sensuelle,
risquaient de ruiner le laborieux édifice de sa puissance. Mère de princesses
répudiées, que deviendrait Mahaut ? Elle était bien décidée à noircir
autant qu’elle le pourrait la reine de Navarre, et à rejeter sur celle-ci toute
la culpabilité. Marguerite n’était pas sa fille. Pour ses propres enfants
Mahaut plaiderait l’entraînement, le mauvais exemple…
Robert d’Artois avait mené la troupe
bon train, comme s’il voulait faire montre de zèle. Il prenait plaisir à voir
le chanoine-chancelier rebondir sur sa selle, et surtout à entendre les
gémissements de sa tante. Chaque fois que de la grande litière secouée par les
mules s’échappait une plainte, Robert, comme par hasard, faisait forcer l’allure.
Aussi, la comtesse eut-elle un râle de soulagement quand apparurent enfin,
au-dessus d’une ligne d’arbres, les tourelles de Maubuisson.
Bientôt, l’équipage pénétra dans la
cour du château. Un grand silence y régnait, rompu seulement par le pas des
archers.
Mahaut descendit de litière et, à
l’officier de garde, demanda où était le roi.
— Il rend justice, Madame, dans
la salle capitulaire.
Suivie de Robert, de Thierry
d’Hirson et de Béatrice, Mahaut se dirigea vers l’abbaye. En dépit de sa
fatigue, elle marchait vite et ferme.
La salle capitulaire offrait ce
jour-là un spectacle inhabituel. Sous les voûtes froides qui abritaient
d’ordinaire des assemblées de nonnes, toute la cour de France se tenait figée
devant son roi.
Quelques rangs de visages se
tournèrent, à l’entrée de la comtesse Mahaut, et un murmure courut. Une voix,
qui était celle de Nogaret, s’arrêta de lire.
Mahaut vit le roi, couronne en tête
et sceptre en main, l’œil grand ouvert, immobile.
Dans la terrible fonction de justice
qu’il
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