Le Roi de fer
veille,
avaient publié le jugement aux quatre coins de la ville… « roués, écorchés
vifs, châtrés, décapités…». Le fait que les condamnés fussent jeunes, qu’ils
fussent nobles et riches, et surtout que leur crime fût un grand scandale
d’amour éclaté dans la famille royale, excitait les curiosités et les
imaginations.
L’échafaud avait été monté dans la
nuit. Il s’élevait à une toise du sol et supportait deux roues placées
horizontalement, ainsi qu’un billot de chêne. En arrière se dressait le gibet.
Deux bourreaux, ceux-là mêmes qui
avaient infligé la question aux d’Aunay, mais à présent vêtus de bonnets et de
surcots rouges, escaladèrent la petite échelle qui menait à la plate-forme.
Deux aides les suivaient, chargés des coffrets noirs qui contenaient les
outils. L’un des bourreaux fit tourner les roues qui grincèrent. Alors la foule
se mit à rire, comme devant un tour de bateleur. On lança des
plaisanteries ; on se cogna du coude ; on fit circuler de bras en
bras une cruche de vin qu’on tendit aux bourreaux. Ils y burent, et la foule
applaudit.
Lorsque apparut, entourée d’archers,
la charrette qui amenait les frères d’Aunay, un grand tumulte monta de la
place, et s’amplifia à mesure qu’on distinguait mieux les condamnés. Ni Gautier
ni Philippe ne bougeaient. Des cordes les liaient aux montants de la charrette,
sans lesquelles ils eussent été incapables de tenir debout. Les aumônières
brillaient à leur ceinture, sur leurs chausses déchirées.
Un prêtre, venu recueillir leur
confession bredouillée et leurs dernières volontés, les accompagnait. Épuisés,
pantelants, hébétés, ils semblaient n’avoir plus vraiment conscience de ce qui
se passait. Les aides-bourreaux les hissèrent sur la plate-forme et les
dévêtirent.
À les voir nus entre les mains des
bourreaux, la foule alors fut prise de transe et poussa des hurlements.
Quolibets et remarques obscènes s’échangeaient à travers la place. Les deux
gentilshommes furent couchés et liés sur les roues, la face tournée vers le
ciel. Puis on attendit.
De longues minutes passèrent ainsi.
L’un des bourreaux s’était assis sur le billot ; l’autre éprouvait du
pouce le tranchant de la hache. La foule s’impatientait, posait des questions,
commençait à devenir houleuse.
Soudain l’on comprit la raison de
cette attente. Trois chariots dont on avait à demi relevé les bâches noires se
présentaient à l’entrée de la grand-rue. Par un suprême raffinement dans le
châtiment, Nogaret, en accord avec le roi, avait ordonné que les princesses
assistassent au supplice.
L’intérêt des spectateurs se trouva
partagé entre les deux condamnés nus sous les nuages, et les princesses royales
prisonnières et rasées. Il s’ensuivit quelques mouvements de masse que les
archers durent contenir.
En apercevant l’échafaud, Blanche
s’était évanouie.
Jeanne, agrippée aux ridelles de son
chariot, criait aux gens :
— Dites à mon époux, dites à
Monseigneur Philippe que je suis innocente !
Jusque-là elle avait tenu
ferme ; mais sa résistance venait de céder. Les badauds se la montraient
en riant, telle une bête de ménagerie dans sa cage. Des mégères l’insultaient.
Seule, Marguerite de Bourgogne avait
le courage de regarder, et ceux qui l’observaient d’assez près purent se
demander si elle n’éprouvait pas un atroce, un affreux plaisir à voir exposé
aux yeux de tous l’homme qui allait mourir de l’avoir possédée.
Lorsque les bourreaux levèrent leurs
masses pour rompre les os des condamnés, elle hurla :
« Philippe ! » d’un ton qui n’était point celui de la douleur.
On entendit des craquements, et le
ciel, pour les frères d’Aunay, s’éteignit. D’abord leurs jambes et leurs
cuisses furent brisées : ensuite les bourreaux firent pivoter les roues
d’un demi-tour, et les masses frappèrent les avant-bras et les bras des
condamnés. Les rayons et les moyeux répercutaient les coups, et les bois
craquaient autant que les os.
Puis les bourreaux, appliquant les
peines dans l’ordre prescrit, se munirent d’instruments de fer à plusieurs
crocs et arrachèrent par grands lambeaux la peau des deux corps.
Le sang giclait, ruisselait sur la
plate-forme ; l’un des bourreaux dut s’essuyer les yeux. Cette sorte de
supplice prouvait assez que la couleur rouge, réglementaire pour les vêtements
des exécuteurs, répondait
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