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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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remplissait, Philippe le Bel semblait absent du monde, ou plutôt il
semblait communiquer avec un univers plus vaste que le monde visible.
    La reine Isabelle, Marigny, Charles
de Valois, Louis d’Évreux, ainsi que les trois princes et plusieurs grands
barons, étaient assis à ses côtés. Au pied de l’estrade, trois petits moines
agenouillés inclinaient vers les dalles leurs crânes rasés. Alain de Pareilles
se tenait un peu en retrait, debout, les mains croisées sur la garde de son
épée.
    « Dieu soit loué, pensa Mahaut.
J’arrive à temps. On juge quelque affaire de sorcellerie ou de sodomie. »
Elle s’apprêtait à gagner l’estrade où son rang de pair du royaume lui donnait
place. Soudain, elle sentit ses jambes se dérober. L’un des pénitents
agenouillés avait levé la tête ; Mahaut reconnut sa fille Blanche. Les
trois princesses avaient été rasées et vêtues de bure. Mahaut chancela sous le
coup avec un cri sourd, comme si on l’avait frappée au ventre. Machinalement,
elle s’accrocha au bras de son neveu, parce que c’était le premier bras qui se
trouvait là.
    — Trop tard, ma tante.
Hélas ! Nous arrivons trop tard, dit Robert d’Artois qui savourait
pleinement sa vengeance.
    Le roi fit un signe au garde des
Sceaux qui reprit la lecture du jugement.
    — «… et par lesdits témoignages
et aveux ayant été prouvées adultères, lesdites dames Marguerite, épouse de
Monseigneur le roi de Navarre, et Blanche, épouse de Monseigneur Charles,
seront emprisonnées dans la forteresse de Château-Gaillard, et ce, pour le
restant des jours qu’il plaira à Dieu de leur accorder. »
    — À vie, murmura Mahaut, elles
sont condamnées à vie.
    — « Aussi dame Jeanne,
comtesse palatine de Bourgogne et épouse de Monseigneur de Poitiers, étant
considéré qu’elle n’a point été convaincue d’avoir forfait le mariage et que ce
crime ne peut lui être imputé, mais étant établies les complaisances coupables
qu’elle eut, sera enfermée en le donjon de Dourdan, pour autant qu’il sera
nécessaire à sa repentance et qu’il plaira au roi. »
    Il y eut un temps de silence pendant
lequel Mahaut pensa, en regardant Nogaret : « C’est lui, c’est ce
chien qui a tout fait, avec sa rage d’épier, de dénoncer et de tourmenter. Il
me le paiera. Il me le paiera de sa peau. » Mais le garde des Sceaux
n’avait pas achevé sa lecture.
    — « Aussi les sires
Gautier et Philippe d’Aunay, ayant forfait à l’honneur et trahi le lien féodal
en commettant l’adultère avec personnes de majesté royale, seront roués,
écorchés vifs, châtrés, décapités et pendus au gibet public de Pontoise, au
matin du jour à suivre celui-ci. Ainsi notre très sage, très puissant et très
aimé roi notre Sire en a jugé. »
    Les épaules des princesses avaient
frissonné pendant l’énoncé des supplices qui attendaient leurs amants. Nogaret
roula son parchemin, et le roi se leva. La salle commença de se vider, dans un
long murmure qui résonnait entre ces murs habitués à la prière. La comtesse
Mahaut vit qu’on s’écartait d’elle et qu’on évitait son regard. Elle voulut
aller vers ses filles, mais Alain de Pareilles lui barra le passage.
    — Non, Madame, dit-il. Le roi
n’autorise que ses fils, s’ils le désirent, à entendre l’adieu de leurs
épouses, et leur repentir.
    Elle chercha aussitôt à se retourner
vers le roi, mais celui-ci était déjà sorti, de même que Louis de Navarre et
Philippe de Poitiers.
    Seul des trois époux, Charles était
resté. Il s’approcha de Blanche.
    — Je ne savais pas… Je ne
voulais pas… Charles ! dit celle-ci en éclatant en sanglots.
    Le rasoir avait laissé sur sa tête
chauve de petites plaques rouges.
    Mahaut se tenait à quelques pas,
soutenue par son chancelier et sa demoiselle de parage.
    — Ma mère, lui cria Blanche,
dites à Charles que je ne savais pas, et qu’il m’accorde pitié !
    Jeanne de Poitiers se passait les
mains sur les oreilles, qu’elle avait un peu décollées, comme si elle ne
s’habituait pas à les sentir nues.
    Adossé contre un pilier près de la
porte, Robert d’Artois, les bras croisés, contemplait son œuvre.
    — Charles, Charles !
répétait Blanche.
    À ce moment s’éleva la voix dure
d’Isabelle d’Angleterre.
    — Point de faiblesse, Charles.
Restez prince, dit-elle.
    Ces mots provoquèrent un sursaut de
fureur chez la troisième condamnée, Marguerite de

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