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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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terre jaune de la place du Martroy où les chiens
venaient renifler en grognant, Maubuisson sortait lentement du drame.
    Les trois fils du roi restèrent
invisibles pendant tout le jour. Personne ne leur fit visite, hors les
gentilshommes attachés à leur service.
    Mahaut avait tenté vainement d’être
reçue par Philippe le Bel. Nogaret vint lui déclarer que le roi travaillait et
souhaitait n’être pas troublé. « C’est lui, c’est ce dogue, pensa Mahaut,
qui a tout machiné et qui maintenant m’empêche d’arriver à son maître. »
Tout persuadait à la comtesse de voir dans le garde des Sceaux le principal
artisan de la perte de ses filles et de sa disgrâce personnelle.
    — À la pitié de Dieu, messire
de Nogaret, à la pitié de Dieu ! lui dit-elle d’un ton de menace, avant de
remonter en litière pour regagner Paris.
    D’autres passions, d’autres intérêts
s’agitaient à Maubuisson. Les familiers des princesses exilées cherchaient à
renouer les fils invisibles de la puissance et de l’intrigue, fût-ce en reniant
les amitiés dont la veille ils se paraient. Les navettes de la peur, de la
vanité et de l’ambition s’étaient mises en marche pour retisser, sur un nouveau
dessin, la toile brutalement déchirée.
    Robert d’Artois avait l’habileté de
ne pas afficher son triomphe ; il attendait d’en récolter les fruits. Mais
déjà les égards qu’on avait d’ordinaire pour le clan de Bourgogne se
déplaçaient vers lui.
    Le soir, il fut convié au souper du
roi ; et l’on vit bien à cela qu’il remontait en faveur.
    Petit souper, presque souper de
deuil, et qui réunissait seulement les frères de Philippe le Bel, sa fille,
Marigny, Nogaret et Bouville. Le silence pesait dans la salle étroite et longue
où le repas était servi. Charles de Valois lui-même se taisait ; et le
lévrier Lombard, comme s’il ressentait la gêne des convives, avait quitté les
pieds de son maître pour aller s’allonger devant la cheminée.
    Robert d’Artois cherchait avec
insistance à rencontrer les yeux d’Isabelle ; mais celle-ci mettait la
même persévérance à dérober son regard. Elle ne voulait donner aucun signe à
son géant cousin, ayant avec lui pourchassé des passions coupables, d’être
accessible aux mêmes tentations. Elle n’acceptait de complicité que dans la
justice.
    « L’amour n’est pas mon lot, se
disait-elle. Je m’y dois résigner. » Mais il lui fallait s’avouer qu’elle
se résignait mal.
    Au moment où les écuyers, entre deux
services, changeaient les tranches de pain, lady Mortimer entra, portant le
petit prince Edouard, pour qu’il donnât à sa mère le baiser de bonsoir.
    — Madame de Joinville, dit le
roi en appelant lady Mortimer par son nom de naissance, approchez-moi mon seul
petit-fils.
    Les assistants notèrent la façon
dont il avait prononcé le mot « seul ».
    Philippe le Bel prit l’enfant et le
tint un grand moment devant ses yeux, étudiant ce petit visage innocent, rond
et rosé, où les fossettes marquaient des ombres. De qui montrerait-il les
traits et la nature ? De son père, changeant, influençable et débauché, ou
de sa mère Isabelle ? « Pour l’honneur de mon sang, pensait le roi,
j’aimerais que tu sois à la semblance de ta mère ; mais pour le bonheur de
la France, fasse le Ciel que tu sois seulement le fils de ton faible
père ! » Car les questions successorales se posaient forcément à lui.
Qu’arriverait-il si un prince d’Angleterre se trouvait un jour en position de
réclamer le trône de France ?
    — Edouard ! Souriez à Sire
votre grand-père, dit Isabelle.
    Le petit prince ne paraissait avoir
aucune peur du regard loyal. Soudain, avançant son poing minuscule, il le
plongea dans les cheveux dorés du souverain, et tira sur une mèche qui
bouclait. Ce fut Philippe le Bel qui sourit.
    Alors, il y eut chez tous les
convives un soupir de soulagement ; chacun s’empressa de rire, et l’on osa
enfin parler.
    Le repas achevé, le roi congédia ses
hôtes, à l’exception de Marigny et de Nogaret. Il vint s’asseoir près de la
cheminée, et fut un grand moment sans rien dire. Ses conseillers respectèrent
son silence.
    — Les chiens sont créatures de
Dieu. Mais ont-ils conscience de Dieu ? demanda-t-il subitement.
    — Sire, répondit Nogaret, nous
savons beaucoup des hommes parce que nous sommes hommes nous-mêmes ; mais
nous connaissons bien peu du reste de la

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