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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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à une nécessité.
    «… roués, écorchés vifs, châtrés,
décapités…» S’il restait encore quelque vie dans les deux frères d’Aunay, tout
sentiment, toute conscience s’était retirée d’eux.
    Une vague d’hystérie agita
l’assistance lorsque les bourreaux, à l’aide de longs couteaux de boucher que
leur tendirent leurs aides, mutilèrent les amants coupables. Les gens se
bousculaient pour mieux voir. Des femmes criaient à leurs maris :
    — Tu en mériterais bien autant,
gros paillard !
    — Tu vois ce qui t’arrivera, si
tu me fais la pareille !
    Les bourreaux avaient rarement
l’occasion de donner si démonstration de leurs talents, et devant un si chaleureux
public. Ils échangèrent un coup d’œil, et ensemble, d’un mouvement bien réglé
de jongleurs, ils lancèrent en l’air, les objets de la faute. Un plaisantin
cria, montrant les princesses du doigt :
    — C’est à elles qu’il faut les
donner !
    Et la foule éclata de rire.
    Les suppliciés furent descendus des
roues et traînés vers le billot. La lueur de la hache brilla, par deux fois.
Puis les aides portèrent jusqu’aux potences ce qui restait de Gautier et de
Philippe d’Aunay, de ces deux beaux écuyers qui l’autre avant-veille
caracolaient sur la route de Clermont, deux corps rompus, sanguinolents, sans
tête et sans sexe, qui furent hissés et accrochés par les aisselles aux
fourches du gibet.
    Aussitôt après, sur un ordre d’Alain
de Pareilles, les trois chariots noirs, encadrés par les cavaliers en chapeau
de fer, se remirent en marche ; et les sergents de la prévôté commencèrent
à faire évacuer la place.
    La foule s’écoula lentement, chacun
voulant passer au plus près de l’échafaud afin d’y jeter un dernier regard.
Puis les gens, par petits groupes et se livrant leurs commentaires, s’en
retournèrent, qui vers sa forge ou son étal, qui vers son échoppe, qui vers son
jardin, pour y reprendre, avec tranquillité, le travail quotidien.
    Car en ces siècles où la moitié des
femmes mouraient en couches, et les deux tiers des enfants au berceau, où les
épidémies ravageaient l’âge adulte, où l’enseignement de l’Église préparait
surtout à quitter la vie, et où les œuvres d’art, crucifixions, martyres, mises
au tombeau, jugements derniers, offraient constamment la représentation du
trépas, l’idée de la mort était familière aux esprits, et seule une manière
exceptionnelle de mourir pouvait, un moment, les émouvoir.
    Devant une poignée de badauds
obstinés, et tandis que les aides lavaient les outils du supplice, les deux
exécuteurs se partageaient les dépouilles de leurs victimes. En effet, ils
avaient droit, par coutume, à tout ce qu’ils trouvaient sur les condamnés, de
la ceinture aux pieds. Cela faisait partie des profits de leur charge.
    Ainsi les aumônières envoyées par la
reine d’Angleterre allaient finir, aubaine rare, aux mains des bourreaux de
Pontoise.
    Une belle créature brune, vêtue en
fille de noblesse, s’approcha de ces derniers et, à mi-voix, d’un ton un peu
traînant, leur demanda la langue de l’un des suppliciés.
    — On dit que c’est bon pour les
maux de femme… expliqua-t-elle. La langue de n’importe lequel des deux… cela
m’est égal…
    Les bourreaux la regardèrent d’un
air soupçonneux. N’y avait-il pas quelque tour de sorcellerie là-dessous ?
Car il était bien connu que la langue d’un pendu, surtout un pendu du jour de
vendredi, servait à évoquer le Diable. Mais une langue de décapité pouvait-elle
faire même usage ?
    Comme Béatrice d’Hirson avait une
belle pièce d’or brillante dans le creux de la main, ils acceptèrent, et,
feignant de mieux assujettir l’une des têtes fichées sur le gibet, y
prélevèrent ce qui leur était demandé.
    — C’est seulement la langue que
vous voulez ? dit, goguenard, le plus gras des deux bourreaux. Parce que,
pour marché égal, on pourrait aussi bien vous fournir le reste.
    Rien, décidément, n’était ordinaire
dans cette exécution…
    Sur la route de Poissy, trois
chariots noirs s’en allaient lentement. Dans le dernier, une femme au crâne
rasé, en chaque village traversé, s’obstinait à crier aux paysans surgis sur
leurs portes :
    — Dites à Monseigneur Philippe
que je suis innocente ! Dites-lui que je ne l’ai pas honni !
     

XII

LE CHEVAUCHEUR DU CRÉPUSCULE
    Cependant que le sang des frères
d’Aunay séchait sur la

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