Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
même
calcul. Le 18 mars, au milieu des flammes, le grand-maître des Templiers leur
avait crié : « Pape Clément, chevalier Guillaume, roi Philippe, avant
un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu…» Et voici que le premier
déjà était mort.
    — Dis-moi, reprit le roi
s’adressant au chevaucheur et lui faisant signe de se relever ; comment
est mort notre Saint-Père ?
    — Sire, le pape Clément était
chez son neveu, messire de Got, à Carpentras, quand il fut saisi de fièvres et
d’angoisses. Alors il dit qu’il voulait retourner en Guyenne, pour y mourir au
lieu de sa naissance, à Villandraut. Mais il ne put aller plus loin que la
première étape, et dut se fermer à Roquemaure près Châteauneuf. Ses physiciens
ont tout essayé pour le garder en vie, jusques à lui faire manger des émeraudes
pilées en poudre, qui sont remède le meilleur, à ce qu’il paraît, pour le mal
qu’il avait. Mais rien n’a fait. L’étouffement l’a pris. Les cardinaux étaient
autour de lui. Je ne sais rien d’autre.
    Il se tut.
    — Va, dit le roi.
    Le chevaucheur sortit. Il n’y eut
plus, dans la salle, d’autre bruit que le souffle du grand lévrier qui dormait
devant le feu.
    Le roi et Nogaret n’osaient se
regarder. « Serait-il possible vraiment, pensaient-ils, que nous soyons
maudits ?… Auquel de nous deux, maintenant ? »
    Le monarque était d’une pâleur impressionnante,
et il avait, dans sa longue robe royale, la raideur glacée des gisants.
     

 
     
     
     
     

TROISIÈME PARTIE

LA MAIN DE DIEU
     

I

LA RUE DES BOURDONNAIS
    Le peuple de Paris ne mit que huit
jours à construire, autour de la condamnation des princesses adultères, une
légende de débauche et de cruauté. Imaginations de carrefours et vantardises de
boutiques : tel affirmait tenir la vérité, de première bouche, d’un sien
compère qui livrait les épices à l’hôtel de Nesle ; tel autre avait un
cousin à Pontoise… L’affabulation populaire s’était surtout emparée de
Marguerite de Bourgogne et lui faisait tenir un rôle extravagant. Ce n’était
plus un amant qu’on attribuait à la reine de Navarre, mais dix, mais
cinquante ; un par soirée… On se montrait, avec force récits et une sorte
de fascination craintive, la tour de Nesle devant laquelle des gardes
veillaient à présent, de jour et de nuit, afin d’écarter les curiosités. Car
l’affaire n’était pas terminée. Plusieurs cadavres avaient été repêchés dans
les parages. On affirmait que l’héritier du trône, enfermé dans son hôtel,
tourmentait ses serviteurs pour leur faire avouer ce qu’ils savaient de
l’inconduite de sa femme, et ensuite expédiait leurs corps à la Seine.
    Un matin, vers tierce, la belle
Béatrice d’Hirson sortit de l’hôtel d’Artois. On était au début de mai et le
soleil jouait sur les vitres des maisons. Sans se hâter, Béatrice avançait,
satisfaite de sentir le vent tiède lui caresser le front. Elle savourait
l’odeur du printemps naissant, et prenait plaisir à provoquer le regard des
hommes, surtout lorsqu’ils étaient de petite condition.
    Elle gagna le quartier
Saint-Eustache et s’engagea dans la rue des Bourdonnais. Les écrivains publics
y avaient leurs échoppes, et aussi les marchands de cire qui fabriquaient les
tablettes à écrire, en même temps que les chandelles et encaustiques. Mais il
s’y pratiquait d’autres trafics. Au fond de certaines maisons, on cédait à prix
d’or, avec des précautions extrêmes, les ingrédients nécessaires à toutes
sorcelleries : poudre de serpent, crapauds pilés, cervelles de chats,
poils de ribaudes, ainsi que les plantes, cueillies au juste temps de la lune,
avec lesquelles on fabriquait les philtres d’amour ou les poisons destinés à
« enherber » un ennemi. Et l’on appelait souvent la « rue aux
Sorcières » cette voie étroite où le Diable tenait marché autour de la
cire d’abeille, matière première des envoûtements.
    L’air détaché, le regard glissant,
Béatrice d’Hirson entra dans une boutique qui avait pour enseigne un grand
cierge de tôle peinte.
    La boutique, étroite de façade,
était longue et sombre. Au plafond pendaient des cierges de toutes tailles et,
sur les casiers qui garnissaient les murs, des chandelles étaient empilées,
ainsi que les pains bruns, rouges ou verts utilisés pour les sceaux. L’air
sentait fortement la cire, et tout objet était un peu collant sous le

Weitere Kostenlose Bücher