Le Roi de fer
bien
trahir. Cet homme était son frère, voilà tout…
Enguerrand de Marigny prit son
projet d’ordonnance contre les Lombards et, de rage, le jeta dans le feu.
— Tant de travail pour rien,
dit-il, tant de travail !
VII
LES SECRETS DE GUCCIO
Cressay, dans la lumière du
printemps, avec ses arbres aux feuilles transparentes et le frémissement
argenté de la Mauldre, était resté pour Guccio une vision heureuse. Mais quand,
ce matin d’octobre, le jeune Siennois, qui se retournait sans cesse pour
s’assurer qu’il n’avait pas d’archers à ses trousses, arriva sur les hauteurs
de Cressay, il se demanda un instant s’il ne s’était pas trompé. Il semblait
que l’automne eût rapetissé le manoir. « Les tourelles étaient-elles donc
si basses ? se disait Guccio. Et suffit-il d’une demi-année pour vous
changer à ce point la mémoire ? » La cour était devenue une mare
boueuse où son cheval enfonçait jusqu’au paturon. « Au moins, pensa
Guccio, il y a peu de chances qu’on me vienne trouver ici. » Il jeta les
rênes à son valet.
— Qu’on bouchonne les chevaux
et qu’on leur donne à manger !
La porte du manoir s’ouvrit et Marie
de Cressay apparut.
L’émotion la força de s’appuyer au
chambranle.
« Comment elle est belle !
pensa Guccio ; et elle n’a point cessé de m’aimer. » Alors les
lézardes des murs s’effacèrent, et les tours du manoir reprirent pour Guccio
les proportions du souvenir.
Mais déjà Marie criait vers
l’intérieur de la maison :
— Mère ! C’est messire
Guccio qui est revenu !
Dame Eliabel fit grande fête au
jeune homme, le baisa aux joues et le serra contre sa forte poitrine. L’image
de Guccio avait souvent peuplé ses nuits. Elle le prit par les mains, le fit
asseoir, commanda qu’on lui apportât du cidre et des pâtés.
Guccio accepta de bon cœur cet
accueil, et il expliqua sa venue de la façon qu’il avait méditée. Il arrivait à
Neauphle pour remettre en ordre le comptoir qui souffrait d’une mauvaise
gestion. Les commis ne faisaient pas rentrer à temps les créances… Aussitôt
dame Eliabel s’inquiéta.
— Vous nous aviez donné toute
une année, dit-elle. L’hiver vient après une bien chétive récolte et nous
n’avons pas encore…
Guccio resta dans le vague. Les
châtelains de Cressay étant de ses amis, il ne permettrait pas qu’on les
inquiétât. Mais il se rappelait leur invitation à séjourner… Dame Eliabel s’en
réjouit. Nulle part au bourg, assura-t-elle, il ne trouverait plus d’aises ni
meilleure compagnie. Guccio réclama son porte-manteau, qui chargeait le cheval
de son valet.
— J’ai là, dit-il, quelques
étoffes qui vous plairont, j’espère… Quant à Pierre et Jean, j’ai pour eux deux
faucons bien dressés, qui leur feront faire meilleures chasses, s’il est
possible.
Les étoffes, les dentelles, les
faucons éblouirent la maison et furent reçus avec des cris de gratitude. Pierre
et Jean, leurs vêtements toujours imprégnés d’une forte odeur de terre, de
cheval et de gibier, posèrent à Guccio cent questions. Ce compagnon
miraculeusement surgi, alors qu’ils se préparaient au long ennui des mauvais
mois, leur parut encore plus digne d’affection qu’à son premier passage. On eût
dit qu’ils se connaissaient depuis toujours.
— Et notre ami le prévôt
Portefruit, que devient-il ? demanda Guccio.
— Il continue de piller autant
qu’il peut, mais plus chez nous, grâce à Dieu… et grâce à vous.
Marie glissait dans la pièce,
ployant le buste devant le feu qu’elle attisait, ou disposant de la paille
fraîche sur le bat-flanc à courtine où dormaient ses frères. Elle ne parlait
pas, mais ne cessait de regarder Guccio. Celui-ci, au premier instant qu’il fut
seul avec elle, la prit doucement par les coudes et l’attira vers lui.
— N’y a-t-il rien dans mes yeux
pour vous rappeler le bonheur ? dit-il, empruntant sa phrase à un récit de
chevalerie qu’il avait lu récemment.
— Oh ! Si, messire !
répondit Marie d’une voix tremblante. Je n’ai point cessé de vous voir ici,
aussi loin que vous fussiez. Je n’ai rien oublié, ni rien défait.
Il se chercha une excuse à n’être
pas revenu de six mois, et à n’avoir donné aucun message. Mais, à sa surprise,
Marie, loin de lui faire reproche, le remercia d’un retour plus prompt qu’elle
ne le prévoyait.
— Vous aviez dit que vous
reviendrez au bout
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