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Le Roi de fer

Le Roi de fer

Titel: Le Roi de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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tremblaient.
    — Rendez-moi la décharge,
dit-il, en saisissant le bras de Tolomei.
    Celui-ci se dégagea doucement.
    — Non, dit-il.
    — Je vous rembourse les deux
mille livres que vous m’avez données, dit Jean de Marigny, et vous gardez tous
les fruits de la vente.
    — Non.
    — Je vous donne d’autres objets
pour même valeur.
    — Non.
    — Cinq mille livres ! Je
vous donne cinq mille livres contre cette décharge !
    Tolomei sourit.
    — Et où les
prendriez-vous ? Il faudrait encore que je vous les prête !
    Jean de Marigny, les poings serrés,
répéta :
    — Cinq mille livres ! Je
les trouverai. Mon frère m’aidera.
    — Mais qu’il vous aide donc
comme je vous en requiers, dit Tolomei en ouvrant les mains. J’offre pour ma
seule quote-part dix-sept mille livres au Trésor royal !
    L’archevêque comprit qu’il lui
fallait changer de tactique.
    — Et si j’obtiens de mon frère
que vous soyez excepté de l’ordonnance ? On vous laisse emporter toute
votre fortune, on vous rachète vos biens immeubles…
    Tolomei réfléchit un instant. On lui
donnait le moyen de se sauver seul. Tout homme sensé, à qui l’on fait une
proposition de cette sorte, la considère, et n’en a que plus de mérite
lorsqu’il la repousse.
    — Non, Monseigneur,
répondit-il. Je subirai le sort qui sera fait à tous. Je ne veux point
recommencer ailleurs, et n’ai point de raison de le faire. Je suis de France,
maintenant, autant que vous l’êtes. Je suis bourgeois du roi. Je veux rester
dans cette maison que j’ai construite, à Paris. J’y ai passé trente-deux ans de
ma vie, Monseigneur, et, si Dieu veut, c’est ici que ma vie s’achèvera… Du
reste, ajouta-t-il, eussé-je le désir de vous restituer la décharge, je ne le
pourrais pas ; je ne l’ai plus en main.
    — Vous mentez ! s’écria
l’archevêque.
    — Non, Monseigneur.
    Jean de Marigny porta la main à sa
croix pectorale et la serra comme s’il allait la briser. Il eut un regard vers
la fenêtre, puis vers la porte.
    — Vous pouvez appeler votre
escorte et faire fouiller ma demeure, dit Tolomei. Vous pouvez même me mettre
les pieds à rôtir dans la cheminée, ainsi que cela se pratique dans vos
tribunaux d’Inquisition. Vous causerez grand tapage et scandale, mais vous
repartirez tel que vous êtes venu, que je sois mort ou vif. Mais si d’aventure
j’étais mort, sachez que cela ne vous rapporterait guère. Car mes parents de
Sienne ont ordre, s’il m’arrivait de trépasser trop tôt, d’avoir à faire
connaître cette décharge au roi et aux grands barons.
    Dans son corps gras, le cœur battait
vite, et la sueur lui coulait sur les reins.
    — À Sienne ? dit
l’archevêque. Mais vous m’aviez assuré que cette pièce ne sortirait pas de vos
coffres ?
    — Elle n’en est pas sortie,
Monseigneur. Ma famille et moi, c’est tout un.
    L’archevêque fléchissait. Tolomei
sentit en ce moment précis qu’il avait gagné, et que les choses allaient à
présent s’enchaîner comme il le souhaitait.
    — Alors ? demanda Marigny.
    — Alors, Monseigneur, dit
Tolomei calmement, je n’ai rien d’autre à vous dire que ce que je vous ai
déclaré tout à l’heure. Parlez au coadjuteur et pressez-le d’accepter l’offre
que je lui ai faite, pendant qu’il en est temps. Sinon…
    Le banquier, sans achever sa phrase,
alla vers la porte et l’ouvrit.
    La scène qui, le jour même, opposa
l’archevêque à son frère, fut terrible. Mis brusquement face à face, dans la
nudité de leurs natures, les deux Marigny qui, jusqu’alors, avaient marché d’un
même pas, se déchiraient.
    Le coadjuteur accabla son cadet de
reproches et de mépris, et le cadet se défendit comme il put, avec lâcheté.
    — Vous avez bonne mine de
m’écraser ! s’écria-t-il. D’où vous est venue votre richesse ? De
quels Juifs écorchés ? De quels Templiers grillés ? Je n’ai fait que
vous imiter. Je vous ai assez servi dans vos manœuvres ; servez-moi à
votre tour.
    — Si j’avais su qui vous étiez,
je ne vous aurais point fait archevêque, dit Enguerrand.
    — Vous ne trouviez personne qui
acceptât de condamner le grand-maître !
    Oui, le coadjuteur savait que
l’exercice du pouvoir oblige à des collusions indignes. Mais il était écrasé
soudain d’en voir l’effet dans sa propre famille. Un homme qui acceptait de
vendre sa conscience contre une mitre pouvait aussi bien voler, aussi

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