Le Roi de fer
de l’an, pour les intérêts, dit-elle. Je ne vous espérais
point avant. Mais vous ne seriez point venu que je vous aurais attendu toute ma
vie.
Guccio avait emporté de Cressay le
léger regret d’une aventure inachevée à laquelle, pour être bien franc, il
avait peu songé pendant tous ces mois. Or, il retrouvait un amour ébloui, qui
avait grandi, pareil à une plante, au long du printemps et de l’été. « Que
j’ai de chance ! pensait-il. Elle pourrait m’avoir oublié, s’être mariée…»
Les hommes de nature infidèle, si
infatués qu’ils paraissent, sont souvent assez modestes en amour, parce qu’ils
imaginent les autres d’après eux-mêmes. Guccio s’émerveillait d’avoir inspiré,
l’entretenant si peu, un sentiment aussi puissant, et aussi rare.
— Moi non plus, Marie, je n’ai
cessé de vous voir, et rien ne m’a délié de vous, dit-il avec toute la chaleur
que réclamait un si gros mensonge.
Ils se tenaient l’un devant l’autre,
également émus, également embarrassés de leurs paroles et de leurs gestes.
— Marie, reprit Guccio, je ne
suis point venu ici pour le comptoir, ni pour aucune créance. Mais à vous je ne
peux ni ne puis rien cacher. Ce serait offenser l’amour qui nous lie. Le secret
que je vais vous confier engage la vie de beaucoup, et la mienne propre… Mon
oncle et des amis puissants m’ont chargé de dissimuler en lieu sûr des pièces
écrites qui importent au royaume et à leur propre salut… À cette heure, des
archers sont sûrement à ma recherche.
Cédant à son penchant, il
recommençait à gonfler un peu son personnage.
— J’avais vingt places où
chercher un refuge, mais c’est vers vous, Marie, que je suis venu. Ma vie
dépend de votre silence.
— C’est moi, dit Marie, qui
dépends de vous, mon seigneur. Je n’ai foi qu’en Dieu, et en celui qui le premier
m’a tenue dans ses bras. Ma vie est votre vie. Votre secret est le mien. Je
cèlerai ce que vous voudrez celer, je tairai ce que vous voudrez taire, et le
secret mourra avec moi.
Des larmes embuaient ses prunelles
bleu sombre.
— Ce que je dois cacher, dit
Guccio, est contenu dans un coffret de plomb à peine grand comme les deux
mains. Y a-t-il quelque place ici ?
Marie réfléchit un instant.
— Dans le four de la vieille
étuve, peut-être… répondit-elle. Non ; je sais un meilleur endroit. Dans
la chapelle. Nous irons demain matin. Mes frères quittent la maison à l’aube,
pour la chasse. Demain, ma mère les suivra de peu, car elle doit se rendre au
bourg. Si elle voulait m’emmener, je me plaindrais de douleurs au gosier.
Feignez de dormir longtemps.
Guccio fut logé à l’étage, dans la
grande pièce propre et froide qu’il avait déjà occupée. Il se coucha, sa dague
au flanc, et la boîte de plomb sous la tête. Il ignorait qu’à la même heure les
deux frères Marigny avaient déjà eu leur dramatique entrevue, et que l’ordonnance
contre les Lombards n’était plus que cendre.
Il fut réveillé par le départ des
deux frères. S’étant approché de la croisée, il vit Pierre et Jean de Cressay,
montés sur de mauvais bidets, qui passaient le porche leurs faucons sur le
poing. Puis des portes battirent. Un peu plus tard, une jument grise, assez
fatiguée par l’âge, fut amenée à dame Eliabel qui s’éloigna à son tour,
escortée du valet boiteux. Alors Guccio enfila ses bottes et attendit.
Quelques instants après, Marie
l’appela du rez-de-chaussée. Guccio descendit, le coffret glissé sous sa cotte.
La chapelle était une petite pièce
voûtée, à l’intérieur du manoir, et dans la partie tournée vers l’est. Les murs
en étaient blanchis à la chaux.
Marie alluma un cierge à la lampe à
huile qui brûlait devant une statue de bois, assez grossière, de saint Jean
l’Évangéliste. Dans la famille Cressay, l’aîné des fils portait toujours le
prénom de Jean.
Elle amena Guccio sur le côté de
l’autel.
— Cette pierre se soulève,
dit-elle en désignant une dalle de petite dimension, munie d’un anneau rouillé.
Guccio eut quelque peine à déplacer
la dalle. À la lueur du cierge, il aperçut un crâne et quelques débris
d’ossements.
— Qui est-ce ?
demanda-t-il en faisant les cornes avec les doigts.
— Un aïeul, dit Marie. Je ne
sais pas lequel.
Guccio déposa dans le trou, près du
crâne blanchâtre, la boîte de plomb. Puis la pierre fut remise en place.
— Notre secret est
Weitere Kostenlose Bücher