Le Roi de l'hiver
il fit un pas de côté vers la Pierre royale et asséna un grand coup
d’épée dans la nuque d’Owain. La blessure, comme toutes les blessures du cuir
chevelu, se mit à pisser le sang, collant ses cheveux et dégoulinant dans son
dos avant d’être dilué par la pluie. Ses hommes firent silence.
Arthur bondit
de la pierre, repassant à l’attaque, et une fois de plus Owain se retrouva sur
la défensive. Les deux hommes haletaient, maculés de boue et sanguinolents,
mais trop épuisés pour se cracher encore des insultes. La pluie aidant, leurs
cheveux pendaient en longues mèches saturées de pluie, tandis qu’Arthur
continuait à frapper à droite et à gauche au même rythme soutenu qu’au départ.
Il était si rapide qu’Owain n’avait d’autre possibilité que de contrer les
coups. Je me souvenais du mépris avec lequel Owain décrivait la manière de se
battre d’Arthur. On dirait qu’il coupe les foins, avait-il ironisé, pour gagner
de vitesse le mauvais temps. Une fois, juste une fois, Arthur franchit la garde
d’Owain, mais le coup fut à demi paré, le privant de sa force, et l’épée échoua
dans les anneaux de fer de sa barbe. Owain écarta la lame et essaya de nouveau
de faire chuter Arthur avec le poids de son corps. Tous deux tombèrent et,
l’espace d’une seconde, on put croire qu’Owain allait piéger Arthur, mais
celui-ci parvint tant bien que mal à se dégager et à se relever.
Arthur
attendit qu’Owain se remît debout. Les deux hommes haletaient. Ils se tancèrent
quelques secondes, évaluant leurs chances, puis Arthur repassa à l’attaque. Il
lançait de grands coups d’épée, comme auparavant, et Owain parait ses coups
furieux. C’est alors qu’Arthur glissa pour la deuxième fois. Il poussa un cri
de peur en tombant, et à son cri répondit un hurlement de triomphe : Owain
retirait son bras pour porter le coup fatal. Le géant comprit alors qu’Arthur n’était
aucunement tombé, mais qu’il avait simplement fait une feinte pour l’obliger à
ouvrir sa garde, et c’est maintenant Arthur qui allongea une botte. Ce fut sa
première botte du combat, et sa dernière. Owain me tournait le dos et je me
cachais à moitié les yeux afin de ne pas voir la mort d’Arthur quand, juste
devant moi, je vis la pointe brillante d’Hywelbane ressortir par le dos trempé
et dégoulinant de sang d’Owain. La botte d’Arthur avait transpercé de part en
part le corps du champion. Owain parut se figer, son bras soudain impuissant.
Puis, de ses doigts sans nerf, son épée tomba dans la boue.
L’espace d’une
seconde, d’un battement de cœur, Arthur laissa Hywelbane dans le ventre
d’Owain, puis au prix d’un effort considérable qui mobilisa tous les muscles de
son corps, il tourna la lame et la libéra. Il cria en tirant la lame d’acier,
cria lorsqu’il libéra la lame de l’étreinte de la chair et qu’elle déchira les
boyaux et les muscles, la peau et la chair, cria encore lorsque l’épée retrouva
la lumière grise du jour. La force nécessaire pour arracher l’acier du corps
massif d’Owain l’obligea à de rudes mouvements d’épée qui ne cessaient de faire
gicler le sang dans la boue.
Tandis
qu’Owain, l’incrédulité sur son visage et ses boyaux se répandant dans la boue,
s’affaissait.
Alors
Hywelbane plongea une fois dans le cou du champion.
Et le silence
se fit sur Caer Cadarn.
Arthur
s’éloigna du cadavre. Puis il fit le tour du cercle pour dévisager chacun des
hommes présents. Il n’y avait plus là une once de bonté, juste le visage d’un
combattant qui a triomphé. Un visage terrible, avec la grosse mâchoire figée en
un rictus de haine en sorte que ceux d’entre nous qui n’avaient de lui que
l’image d’un homme posé et réfléchi furent choqués par la métamorphose.
« Est-il un homme ici, lança-t-il d’une voix forte, qui conteste le
jugement ? »
Personne. La
pluie dégoulinait des manteaux et diluait le sang d’Owain. Arthur se déplaça
alors pour s’adresser aux lanciers du champion abattu. « Voici l’occasion
pour vous de venger votre seigneur, sans quoi vous êtes miens. » Nul ne
pouvant soutenir son regard, il se détourna, enjamba le corps du seigneur
foudroyé, et se mit en face de Tristan. « Le Kernow accepte-t-il le
jugement, Seigneur Prince ? »
Le visage
pâle, Tristan hocha la tête. « Oui, Seigneur.
— Le sarhaed ,
décréta Arthur, sera payé sur les biens d’Owain. » Il
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