Le Roi de l'hiver
dire non.
— À mon
avis, t’es cinglé, mais Lunete fera comme je lui dirai. Mais je te préviens,
Derfel, si tu ne la quittes pas maintenant, c’est elle qui te quittera le
moment venu. » Nimue mit la main sur mon bras pour me retenir. Nous
approchions du porche de la villa où la foule des solliciteurs attendait
Arthur. « Savais-tu, me demanda Nimue à voix basse, qu’Arthur pense à
libérer Gundleus ?
— Non,
répondis-je, choqué par la nouvelle.
— Si. Il
pense que Gundleus respectera la paix désormais, et il estime qu’il n’y a pas
de meilleur maître pour la Silurie. Arthur ne le libérera pas sans le
consentement de Tewdric. Ce n’est donc pas pour tout de suite, mais quand ça
arrivera, Derfel, je tuerai Gundleus. » Elle s’exprimait avec la terrible
simplicité de qui dit la vérité, et je songeais, en l’entendant, que la
férocité lui donnait une beauté que la nature lui avait refusée. Par-delà les
terres froides et humides, elle regardait la butte lointaine de Caer Cadarn.
« Arthur, reprit-elle, rêve de paix, mais il n’y aura jamais la paix.
Jamais ! La Bretagne est un chaudron, Derfel, et Arthur va en faire sortir
l’horreur.
— Tu as
tort », tranchai-je loyalement.
Pour toute
réponse, Nimue me fit la grimace puis, sans ajouter un mot, elle fit demi-tour
et redescendit le chemin vers les huttes des guerriers.
J’écartai les
quémandeurs pour pénétrer dans la villa. Arthur me vit entrer, me salua d’un
geste distrait, puis tendit à nouveau l’oreille vers un homme qui se plaignait
que son voisin eût déplacé les pierres limitrophes. Bedwin et Gereint étaient
attablés avec Arthur, Agricola et le prince Tristan se tenant debout, sur le
côté, comme des gardes. Bon nombre de conseillers et de magistrats étaient
assis sur le sol, lequel était curieusement chaud, grâce cette manière
qu’avaient les Romains de laisser au-dessous un espace que l’on pouvait emplir
d’air chaud. Une fissure des carreaux laissait s’échapper dans la grande salle
des filets de fumée.
Les
solliciteurs étaient reçus un par un, et justice leur était rendue. La plupart
des affaires auraient pu être tranchées par la cour de Lindinis qui siégeait à une
centaine de pas seulement de la villa, mais beaucoup de gens, surtout les
païens de la campagne, estimaient qu’une décision rendue par le
Conseil royal avait plus de poids qu’un jugement prononcé par un tribunal
constitué par les Romains, et ils gardaient donc leurs doléances et leurs
conflits en attendant le conseil. Représentant Mordred, l’enfançon, Arthur les
examina patiemment, mais il se montra soulagé lorsque vint l’heure d’aborder la
vraie question du jour. Il s’agissait de régler les difficultés créées par le
duel de la veille. Les guerriers d’Owain furent confiés au prince Gereint,
Arthur recommandant de les scinder en diverses troupes. L’un des capitaines de
Gereint, un dénommé Llywarch, fut désigné commandant de la garde du roi à la
place d’Owain, puis un magistrat reçut pour mission d’inventorier la richesse
d’Owain et d’envoyer au Kernow la part qui lui était due au titre de sarhaed .
J’observai avec quelle poigne Arthur menait sa barque, quoique jamais sans
donner à chaque homme présent l’occasion de dire le fond de sa pensée. Ces
consultations pouvaient déboucher sur d’interminables discussions, mais Arthur
était fort heureusement doué pour comprendre vite les affaires compliquées et
proposer des compromis qui plaisaient à tout le monde. Je remarquai aussi que
Gereint et Bedwin s’effaçaient volontiers devant lui. Bedwin avait placé dans
l’épée d’Arthur tous ses espoirs pour l’avenir de la Dumnonie et il était le
plus farouche partisan d’Arthur, tandis que Gereint, le neveu d’Uther, aurait pu
être un adversaire, mais le prince ne partageait pas l’ambition de son oncle et
se montrait ravi qu’Arthur fût disposé à assumer la responsabilité du
gouvernement. Le roi de Dumnonie avait un nouveau champion, Arthur ab Uther, et
le soulagement, dans la salle, était tangible.
Le prince
Cadwy d’Isca reçut l’ordre de participer au sarhaed versé au Kernow. Il
protesta, mais fléchit devant le courroux d’Arthur et consentit humblement à en
payer le quart. Arthur, j’imagine, aurait préféré infliger un châtiment plus
rude, mais j’étais tenu par mon serment de ne point révéler le rôle de Cadwy
dans
Weitere Kostenlose Bücher