Le Roman d'Alexandre le Grand
préférés.
— Laissez-le parler, ordonna
Alexandre. Eumène nous apporte des nouvelles, qui, je l’espère, sont bonnes.
— Bonnes et mauvaises, mon ami.
Par lesquelles veux-tu que je commence ? »
Alexandre masqua à grand-peine sa
déception. « Par les mauvaises. On s’habitue toujours aux bonnes.
Donnez-lui un siège. »
Eumène prit place avec raideur car
son armure l’empêchait de se baisser. « Les habitants de Lampsaque ont
déclaré qu’ils s’estiment assez libres et qu’ils n’ont aucun besoin de notre
aide. Bref, ils ne souhaitent pas que nous nous mêlions de leurs
affaires. »
Le visage d’Alexandre s’était
assombri, et l’on pouvait deviner qu’il était sur le point de céder à la
colère. Eumène se hâta donc d’enchaîner : « En revanche, j’ai de
bonnes nouvelles de Cyzique. La ville nous est favorable, elle accepte de se
joindre à nous. C’est vraiment une bonne nouvelle, car tous les mercenaires qui
sont au service des Perses sont payés en monnaie de Cyzique. Des statères
d’argent, pour être précis. Comme celui-ci. » Et il jeta sur la table une
belle pièce de monnaie, qui rebondit et se mit à rouler sur elle-même comme une
toupie jusqu’à ce que la main velue de Cleitos le Noir l’arrête d’un coup sec.
« Et alors ? interrogea le
général en la tournant et la retournant entre ses doigts.
— Si la ville de Cyzique bloque
l’émission de sa monnaie en direction des provinces perses, expliqua Eumène,
les gouverneurs se trouveront vite en difficulté. Ils devront se taxer
eux-mêmes, ou chercher d’autres formes de paiement, que les mercenaires
apprécient peu. Cela vaut aussi pour leur ravitaillement, pour la paie des
équipages maritimes, et pour le reste.
— Mais comment as-tu
fait ? demanda Cratère.
— Je n’ai pas attendu notre
débarquement en Asie pour traiter, répliqua le secrétaire. Je suis en
négociation avec la ville depuis longtemps. Du temps où vivait encore… (il
baissa la tête)… le roi Philippe. »
À ces mots, le silence s’abattit
sous la tente comme si l’esprit du souverain tombé au faîte de sa gloire sous
les coups de son assassin flottait sur l’assistance.
« Bien, conclut Alexandre. Mais
cela ne change rien à nos plans. Demain, nous marcherons vers
l’intérieur : nous irons débusquer le lion dans sa tanière. »
Dans le monde connu, personne ne
possédait de cartes aussi précises et aussi complètes que celles de Memnon de
Rhodes. Elles étaient, disait-on, le fruit de l’expérience millénaire des
marins de son île et de l’habileté d’un mystérieux cartographe.
Le mercenaire grec déplia la carte
sur sa table et en fixa les coins au moyen de quatre chandeliers. Puis il tira
un pion d’un coffret à jeu et le posa entre la Dardanie et la Phrygie. « À
l’heure qu’il est, Alexandre se trouve plus ou moins ici. »
Les membres du haut commandement
perse étaient réunis autour de la table, debout, dans leur tenue de combat, qui
comprenait un pantalon et des bottes. Il y avait là Arsamès et Arsitès,
respectivement gouverneurs de la Pamphylie et de la Phrygie ; Rhéomitrès,
commandant de la cavalerie bactriane, Rhoisakès, ainsi que le commandant
suprême, le satrape de la Lydie et de l’Ionie : Spithridatès, un
gigantesque Iranien à la peau olivâtre, aux yeux noirs et profonds, qui
présidait l’assemblée.
« Que
suggères-tu ? », demanda ce dernier en grec.
Memnon détourna les yeux de la carte
géographique. Il avait la quarantaine, les tempes grisonnantes, les bras
musclés, une barbe très soignée, modelée par le rasoir, qui lui donnait
l’allure d’un de ces personnages que les artistes grecs représentaient sur
leurs bas-reliefs et leurs vases.
« Quelles nouvelles avons-nous
de Suse ? interrogea-t-il.
— Aucune pour le moment. Et
nous ne pouvons nous attendre à des renforts massifs avant deux mois : les
distances sont grandes et les procédures de recrutement fort longues.
— Nous ne pouvons donc compter
que sur nos forces.
— Oui, c’est cela, confirma
Spithridatès.
— Nous sommes inférieurs en
nombre.
— Pas de beaucoup.
— Mais c’est énorme, dans une
telle situation. Les Macédoniens ont une structure de combat impressionnante,
la meilleure au monde. Ils ont battu en rase campagne des armées de tous les
types et de toutes les nationalités.
— Donc ?
— Alexandre essaie de nous
provoquer, mais je
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