Le Roman d'Alexandre le Grand
dangereux. Laisses-en le soin à Cratère : il a participé à la
première expédition en Asie à mes côtés, et s’y est montré très habile.
— Le général Parménion a
raison, intervint Séleucos. C’est notre premier affrontement avec les Perses,
pourquoi risquer de le compromettre ? »
Le souverain leva la main pour
mettre fin à la discussion. « Vous m’avez vu combattre à Chéronée contre
le bataillon sacré, et sur le fleuve Istros contre les Thraces et les
Triballes. Comment pouvez-vous imaginer que je me comporterai autrement
aujourd’hui ? Je conduirai moi-même la Pointe et je serai le premier
Macédonien à affronter l’ennemi. Mes hommes doivent savoir que je cours les
mêmes dangers qu’eux et que nous jouons tout dans cette bataille, même notre
vie. Je n’ai rien d’autre à ajouter pour le moment. Je vous attends tous pour
le dîner. »
Personne n’eut le courage de
répliquer, mais Eumène, assis à côté de Parménion, lui murmura à
l’oreille : « Si j’étais toi, je placerais quelqu’un de
particulièrement expérimenté à ses côtés, un homme qui ait déjà combattu contre
les Perses et qui connaisse leur tactique.
— J’y ai déjà pensé, le rassura
le général. Le Noir sera là. Tout se passera bien, tu verras. »
La réunion fut levée. Les officiers
sortirent pour rejoindre leurs détachements et transmettre leurs dernières
dispositions. Demeuré à l’écart, Eumène s’approcha d’Alexandre. « Je
voulais te dire que ton plan est excellent, mais il reste une inconnue, et de
taille.
— Les mercenaires de Memnon.
— Oui. S’ils adoptent une
formation en carré, même la cavalerie aura des difficultés à les vaincre.
— Je le sais. Notre phalange
pourrait connaître des problèmes et être obligée d’utiliser les armes courtes,
l’épée et la hache. Mais il y a autre chose… »
Eumène s’assit, tira son manteau sur
ses genoux, et ce geste rappela à Alexandre celui de son père Philippe, quand
il était en colère. Cet état d’âme n’habitait toutefois pas Eumène : la
température était fraîche et il n’était pas habitué au court chiton militaire,
qui découvrait ses jambes. Il avait la chair de poule.
Le souverain prit un rouleau de
papyrus dans sa célèbre cassette, celle qui contenait l’édition d’Homère
qu’Aristote lui avait offerte, et le déroula sur la table. « Tu connais la
« retraite des Dix Mille », n’est-ce pas ?
— Bien sûr, on la lit dans
toutes les écoles désormais. C’est une prose agréable, qui ne présente aucune
difficulté, pas même pour les adolescents.
— Bon. Alors écoute. Nous
sommes sur le champ de bataille de Cunaxa, il y a environ soixante-dix ans. Et
Cyrus le Jeune s’adresse au commandant Cléarque :
Il lui ordonna de conduire ses
troupes contre le centre ennemi parce que c’était là que se trouvait le roi.
« Si nous le tuons, affirma-t-il, le plus dur sera fait. »
— Tu voudrais tuer le
commandant ennemi de tes propres mains, dit Eumène sur un ton désapprobateur.
— C’est la raison pour laquelle
je prendrai la tête de la Pointe. Nous nous occuperons ensuite des mercenaires
de Memnon.
— J’ai compris et je m’en vais,
car tu n’as aucunement l’intention d’écouter mes conseils.
— Non, monsieur le secrétaire
général, s’exclama Alexandre dans un éclat de rire. Mais cela ne signifie pas
que je ne t’aime pas.
— Je t’aime, moi aussi, maudit
têtu. Que les dieux te protègent.
— Qu’ils te protègent
également, mon ami. »
Eumène regagna sa tente. Il ôta son
armure, enfila un vêtement chaud et se plongea dans la lecture d’un ouvrage de
tactique militaire en attendant que sonne l’heure du repas.
5
Le fleuve coulait rapidement, grossi par la fonte des neiges sur la
chaîne pontique, et un léger vent d’ouest agitait le feuillage des peupliers
qui poussaient le long des rives. Des rives abruptes, argileuses et trempées
par les récentes pluies.
Alexandre, Héphestion, Séleucos et
Perdiccas étaient postés sur une petite hauteur, d’où ils pouvaient voir aussi
bien le cours du Granique qu’une portion de territoire au-delà de la rive
orientale.
« Qu’en pensez-vous ?
demanda le souverain.
— Les rives sont imprégnées
d’eau, dit Séleucos. Si les barbares se déploient le long du fleuve, ils nous
décimeront par des jets de flèches et de javelots avant même que nous
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