Le Roman d'Alexandre le Grand
armé de pied en cap, veille
toute la nuit sur la rive du Granique. Naturellement, ces hommes ne se battront
pas demain : ils seront trop fatigués pour cela. »
Le dîner se termina en temps voulu,
et les officiers rentrèrent sous leurs tentes. Alexandre aussi se prépara pour
la nuit. Leptine l’aida à ôter son armure et ses vêtements, à prendre le bain
qui l’attendait dans un coin séparé du pavillon royal.
« Est-il vrai que tu
combattras, mon maître ? interrogea-t-elle en passant une éponge sur ses
épaules.
— Cela ne te regarde pas,
Leptine. Si tu écoutes encore une fois nos conversations, je te ferai
éloigner. »
La jeune fille baissa les yeux et
observa un instant de silence. Quand elle comprit qu’Alexandre n’était pas en
colère elle poursuivit : « Pourquoi cela ne me regarde-t-il
pas ?
— Parce qu’il ne t’arrivera
rien de désagréable si jamais je devais tomber sur le champ de bataille. Tu
auras ta liberté, ainsi qu’une rente qui te permettra de vivre. »
Leptine l’examina avec tristesse.
Son menton tremblait et ses yeux s’embuèrent : elle tourna la tête pour
qu’il ne s’en aperçoive pas.
Mais Alexandre vit les larmes couler
le long de ses joues. « Pourquoi pleures-tu ? Je pensais que cela
t’aurait fait plaisir. »
La jeune fille ravala ses pleurs et
déclara, dès qu’elle en fut capable : « Je suis heureuse tant que je
te vois, mon seigneur. Si je ne peux te voir, il n’y a pour moi ni lumière ni
souffle, ni même vie. »
Les bruits du camp
s’atténuaient : on n’entendait plus que les voix des sentinelles dans
l’obscurité, et l’aboiement des chiens qui erraient à la recherche de
nourriture. Alexandre sembla tendre l’oreille un moment, puis il se leva.
Leptine accourut pour l’essuyer.
« Je dormirai tout
habillé », affirma le souverain. Il enfila des vêtements propres et
choisit l’armure qu’il arborerait le lendemain : un casque en lames de
bronze en forme de tête de lion à gueule ouverte, orné de deux longues plumes
blanches de héron, une cuirasse athénienne en lin munie d’une protection en
bronze représentant une gorgone, des jambières en lames de bronze si astiquées
qu’elles paraissaient être en or, un ceinturon en cuir rouge, au milieu duquel
se détachait le visage de la déesse Athéna.
« Tu seras visible de loin, dit
Leptine d’une voix tremblante.
— Mes hommes doivent me voir et
savoir que je risque ma vie avant la leur. À présent, va te coucher : je
n’ai plus besoin de toi. »
La jeune fille sortit d’un pas
rapide et léger. Alexandre posa ses armes sur le support qui se trouvait près
de son lit et éteignit la lanterne. Dans l’obscurité, sa panoplie évoquait le
fantôme d’un guerrier qui attendait la lumière de l’aube pour reprendre vie.
6
Réveillé par Péritas qui lui léchait le visage, Alexandre bondit. Deux
ordonnances l’attendaient au pied de sa couche et elles l’aidèrent à enfiler
son armure. Leptine lui apporta son petit déjeuner sur un plateau
d’argent ; il s’agissait du « gobelet de Nestor » : des
œufs crus, battus avec du fromage, de la farine, du miel et du vin.
Le souverain mangea debout tandis qu’on
lui agrafait sa cuirasse et ses jambières, qu’on suspendait son baudrier à son
épaule et qu’on y accrochait le fourreau contenant son épée.
« Je ne veux pas de Bucéphale,
dit-il en sortant. Les rives du fleuve sont trop glissantes, il pourrait
s’estropier. Amenez-moi mon bai de Sarmatie. »
Les ordonnances s’exécutèrent
pendant qu’il gagnait à pied le centre du terrain, son casque sous le bras
gauche. Les rangs étaient déjà presque complets ; à chaque instant, des
soldats accouraient pour prendre place près de leurs compagnons. Alexandre
monta sur le destrier, que l’on venait de lui amener, et passa en revue les
escadrons de la cavalerie macédonienne, et thessalienne, puis l’infanterie
grecque et la phalange.
Les cavaliers de la Pointe étaient
alignés sur cinq rangs à l’extrémité du camp, près de la porte orientale. En
silence, ils brandirent leurs lances sur son passage.
Alexandre leva le bras pour donner
le signal de départ et le Noir se plaça à ses côtés. Alors, le piétinement de
milliers de chevaux se fit entendre, mêlé au tintement des armes. Les guerriers
avançaient au pas dans l’obscurité, en longue file.
L’armée n’était plus qu’à quelques
stades de
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