Le Roman d'Alexandre le Grand
l’attaque, le blessant à leur
tour, si bien qu’il ne resta plus à Parménion qu’à donner le coup de grâce.
Tout autour, les chiens aboyaient et
hurlaient, comme affolés. Les rabatteurs les autorisèrent à lécher le sang des
bêtes féroces, de façon qu’ils mémorisent cette odeur pour la battue suivante.
Philippe mit pied à terre et
embrassa son fils : « Tu m’as fait trembler, mon garçon, mais aussi
frémir d’orgueil. Un jour, tu seras certainement roi. Un grand roi. » Et
il embrassa aussi Héphestion, qui avait risqué sa vie pour sauver celle
d’Alexandre.
Quand l’excitation se fut apaisée et
que les veneurs commencèrent à dépecer les bêtes, tout le monde se souvint du
moment où la lionne avait bondi.
Alors les chasseurs se retournèrent
et aperçurent l’étranger, l’un des Immortels, immobile sur son cheval, tenant
encore le grand arc à double courbure qui avait foudroyé la femelle à plus de
cent pas de distance. Il souriait en découvrant une double rangée de dents
éclatantes, encadrées par une grosse barbe noire.
C’est à ce moment-là seulement
qu’Alexandre se rendit compte qu’il était couvert de bleus et d’écorchures, et
qu’Héphestion perdait du sang : les griffes du lion lui avaient infligé
une blessure superficielle mais douloureuse. Il embrassa son ami et le fit
aussitôt conduire auprès des chirurgiens. Puis il avisa le guerrier perse qui
l’observait de loin, sur son cheval nyséen, et se dirigea vers lui à pied. Une
fois devant lui, il plongea ses yeux dans les siens et dit :
« Merci, hôte étranger. Je
n’oublierai pas. »
L’Immortel ne comprit pas les mots
d’Alexandre car il ne connaissait pas le grec, mais il en saisit le sens. Il
sourit encore une fois et s’inclina, avant d’éperonner son cheval et de
rejoindre ses camarades.
La chasse reprit un peu plus tard et
se prolongea jusqu’au couchant. Les porteurs entassèrent les proies abattues
par les chasseurs : un cerf, trois sangliers et deux chevreuils.
À la tombée de la nuit, tous ceux
qui avaient participé à la battue se réunirent sous une grande tente que les
esclaves avaient montée au milieu de la plaine. Tandis qu’ils riaient et
chahutaient en évoquant les moments importants de la journée, les cuisiniers
détachèrent des broches le gibier que les écuyers tranchants découpèrent et
servirent aux convives, en commençant par le roi, ses invités et le prince.
Bien vite, le vin coula à flots. On
en remplit aussi la coupe d’Alexandre et celles de ses amis :
n’avaient-ils pas prouvé au cours de la journée qu’ils étaient devenus des
hommes ?
Alors les femmes survinrent :
des flûtistes et des danseuses d’abord, qui excellaient dans l’art d’animer les
banquets par leurs danses, leurs répliques grivoises et l’ardeur juvénile avec
laquelle elles s’adonnaient aux plaisirs du sexe.
Philippe, qui était particulièrement
gai, décida que les invités participeraient également au cottabe, un jeu dont
l’interprète traduisit les règles aux Perses :
« Vous voyez cette fille ?
demanda-t-il en indiquant une danseuse qui était en train de se déshabiller. Il
faut éclabousser sa chatte des dernières gouttes de vin restant dans votre
coupe. Celui qui visera dans le mille l’aura en récompense. Voilà,
regardez ! » Il glissa l’index et le majeur dans l’une des anses et
projeta le liquide en direction de la fille. Mais les gouttes atteignirent l’un
des cuisiniers en plein visage et tout le monde éclata de rire. « Et
maintenant, baise le cuisinier, sire ! Le cuisinier ! Le
cuisinier ! »
Philippe haussa les épaules et
recommença. La jeune fille avait beau s’être approchée, la vue du roi était à
l’évidence un peu brouillée.
Peu habitués au vin pur, la plupart
des Perses roulaient déjà sous les tables. Quant à l’invité principal, le
satrape Arsamès, il continuait de caresser le jeune blond qui lui avait tenu
compagnie durant la nuit.
Il y eut d’autres tentatives, mais
ce jeu n’obtint pas un grand succès car les convives étaient trop soûls pour
exceller dans de tels exercices de précision. Chacun attrapa la première fille
qui lui tombait sous la main, tandis que le souverain s’attribuait, en sa
qualité d’amphitryon, celle qui avait constitué le trophée du jeu. Comme d’habitude,
la fête dégénéra en orgie, en un enchevêtrement de corps à demi nus et en nage.
Alexandre
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