Le Roman d'Alexandre le Grand
de carreaux émaillés sur des feuilles d’or, que le soleil couchant
fait resplendir comme un joyau sur fond de neiges immaculées. C’est un spectacle
émouvant, prince Alexandre. La troisième capitale est Suse, où réside le Grand
Roi durant l’hiver. Quant à la quatrième, celle du jour de l’an, c’est
Persépolis la haute, au parfum de cédrat et d’encens, ornée d’une forêt de
colonnes aux couleurs de la pourpre et de l’or. On y garde le trésor royal, et
il n’existe pas de mots pour en décrire la merveille. J’espère que tu la
visiteras un jour. »
Alexandre l’écoutait avec
ravissement. Il se représentait ces villes et ces jardins de rêve, ces trésors
accumulés pendant des siècles, ces paysages déserts. De retour au palais, il
invita les Perses à s’asseoir sur des sièges de pierre et ordonna qu’on leur
serve des coupes d’hydromel. Tandis qu’ils buvaient, il demanda encore :
« Dites-moi, quelle est la
taille de l’empire du Grand Roi ? »
Les yeux du satrape s’illuminèrent.
Sa voix était inspirée, comme celle d’un poète chantant sa terre natale :
« L’empire du Grand Roi s’étend
au nord jusqu’aux contrées où le froid exclut toute existence humaine, et au
sud jusqu’aux régions où la chaleur bannit également toute vie. Il règne sur
cent nations, des Éthiopiens crépus et vêtus de peaux de léopard aux Éthiopiens
à cheveux raides qui se couvrent de peaux de tigre.
« Ces frontières renferment des
déserts que personne n’a jamais osé traverser, des montagnes si hautes qu’aucun
pied humain ne s’est jamais hasardé à les gravir, des fleuves que les dieux et
les hommes considèrent comme sacrés : le Nil, le Tigre, l’Euphrate et
l’Indus, et mille autres encore, tels le majestueux Choaspès ou le
tourbillonnant Araxès qui se jette dans la mer Caspienne, une mer mystérieuse
et si vaste que le cinquième du ciel s’y reflète… Il existe une route qui part
de la ville de Sardes et traverse la moitié de ses provinces jusqu’à Suse, la
capitale : une grande route entièrement pavée de pierres et bordée de
grilles en or. »
Soudain, Arsamès se tut et fixa
Alexandre dans les yeux. Il lut dans son regard un formidable désir d’aventure
et l’éclat d’une force vitale invincible. Il comprit que brûlait dans ce jeune
homme une âme d’une puissance inouïe. C’est alors que revint à sa mémoire un
épisode vieux de plusieurs années, dont on avait longuement parlé en
Perse : un jour, à l’intérieur du temple du feu, sur la Montagne de la
lumière, brusquement un souffle venu du néant avait éteint la flamme sacrée.
Et il eut peur.
9
La battue de chasse débuta aux premières lueurs de l’aube et le roi
voulut que les plus jeunes y participent aussi. Alors Alexandre et ses amis
Philotas, Séleucos, Héphestion, Perdiccas, Lysimaque et Léonnatos, ainsi que,
bien sûr, Ptolémée et Cratère, s’y préparèrent.
Eumène, qui avait été invité,
demanda l’autorisation de ne pas y assister, car il souffrait de troubles
intestinaux : il présenta une ordonnance de Philippe, le médecin, qui lui
prescrivait deux Jours de repos absolu et un traitement astringent à base
d’œufs durs.
Le roi Alexandre d’Épire s’était
fait envoyer pour l’occasion une meute de chiens de son élevage, d’une grande
taille et dotés d’un excellent flair. Ils étaient à présent sur la piste du
gibier, stimulés par les rabatteurs qui s’étaient postés, la veille au soir, à
l’orée d’un bois de la montagne. Ces chiens avaient été importés d’Orient plus
d’un siècle auparavant, et comme ils s’étaient fort bien acclimatés en Epire,
la terre des Molosses, où l’on avait fondé les meilleurs élevages, ils en
avaient pris le nom. Leur puissance, leur grande taille et leur résistance à la
douleur faisaient d’eux l’instrument le mieux approprié à la chasse au gros
gibier.
Les bergers avaient signalé depuis
longtemps qu’un lion massacrait leurs brebis et leurs troupeaux de bovins dans
cette région, et Philippe avait volontairement attendu cette occasion pour
abattre la bête sauvage, initier son fils au seul passe-temps qui convînt à un aristocrate
et offrir à ses invités perses un divertissement digne de leur rang.
Trois heures plus tôt, à l’aube, ils
avaient quitté le palais royal de Pella. Au lever du soleil, ils avaient
atteint le massif qui séparait la vallée de
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