Le Roman d'Alexandre le Grand
que signifie devenir
immortel, et cela me remplit de peur et d’effroi. Ne me repousse pas, Barsine,
maintenant que mes mains caressent ton visage, ne me refuse pas ta chaleur et
tes bras. »
Son corps était aussi éprouvé qu’un
champ de bataille : il n’y avait pas un pouce de sa peau qui ne fût
couvert d’éraflures, de cicatrices ou d’excoriations. Seul son visage était
resté merveilleusement intact, et ses longs cheveux retombaient doucement sur
ses épaules, le parant d’une grâce intense et triste.
« Aime-moi, Barsine »,
dit-il en l’attirant à lui, en la serrant contre sa poitrine.
La lune se cacha derrière les
nuages, qui venaient de l’ouest et Alexandre l’embrassa avec passion. Barsine
répondit à ce baiser comme si les flammes d’un incendie l’enveloppaient
subitement, mais elle sentit au même instant la morsure d’un sombre désespoir
au fond de son cœur.
Dès que le roi fut en mesure de
voyager, l’armée prit la route du désert. Au bout de sept jours de marche, elle
atteignit la ville de Péluse, aux portes de l’Égypte, sur la rive orientale du
delta du Nil. Se sachant, totalement isolé, le gouverneur perse se soumit au
roi, à qui il confia la région et le trésor royal.
« L’Egypte ! s’exclama
Perdiccas en contemplant du haut de la forteresse la campagne qui s’étendait à
perte de vue, les eaux paresseuses du fleuve, les têtes ondoyantes des papyrus,
les dattiers dont les fruits étaient déjà aussi gros que des noix.
— Je ne croyais même pas à son
existence, observa Léonnatos. Je pensais qu’il s’agissait d’une des nombreuses
histoires que nous racontait le vieux Léonidas. »
Une jeune fille aux yeux bistrés,
coiffée d’une perruque noire et vêtue d’une robe en lin si moulante qu’elle
paraissait nue, servit aux jeunes conquérants du vin de palme et des
pâtisseries.
« Es-tu toujours aussi sûr de
détester les Égyptiens ? demanda Alexandre à Ptolémée qui suivait la belle
jeune fille d’un regard admiratif.
— Plus aussi sûr, répliqua
Ptolémée.
— Regardez ! Regardez, là,
au milieu du fleuve ! De quelle sorte de monstres s’agit-il ? s’écria
soudain Léonnatos en indiquant des dos écailleux qui brillèrent un instant au
soleil avant de disparaître dans un bouillonnement d’eau.
— Ce sont des crocodiles,
expliqua l’interprète, un Grec du nom d’Aristoxène. Ils sont partout, ne
l’oubliez pas : il est très risqué de se baigner dans ces eaux. Faites
donc attention car…
— Et ceux-là ?
Regardez-les ! s’exclama encore Léonnatos. On dirait d’énormes cochons.
— Nous autres Grecs les
appelons hippopotamoi, expliqua l’interprète.
— « Chevaux de
fleuve », observa Alexandre. Par Zeus, Je crois que Bucéphale se vexerait
s’il savait qu’on qualifie également de « chevaux » ces espèces de
grosses bêtes.
— C’est seulement une façon de
parler, répliqua l’interprète. Ils ne sont pas dangereux car ils se nourrissent
exclusivement d’herbes et d’algues, mais ils sont capables de renverser un bateau.
Ceux qui tombent à l’eau deviennent alors la proie des crocodiles.
— Un pays dangereux, commenta
Séleucos qui s’était contenté jusqu’alors d’admirer le spectacle en silence.
Maintenant, que penses-tu qu’il arrivera ? demanda-t-il ensuite à
Alexandre.
— Je l’ignore, mais je crois
que nous pourrions être accueillis amicalement par les gens de ce pays si nous
savons les comprendre. Ils me donnent l’impression d’être un peuple gentil et
sage, mais très fier.
— Il en est ainsi, confirma
Eumène. L’Égypte refuse toute domination étrangère, et les Perses ne l’ont
jamais compris : ils se sont obstinés à installer un gouverneur et des
troupes mercenaires à Péluse, provoquant ainsi des révoltes sans fin, qu’ils
ont toutes réprimées dans un bain de sang.
— Pourquoi en irait-il
autrement pour nous ? interrogea Séleucos.
— Parce qu’il aurait pu en
aller autrement pour les Perses, s’ils avaient respecté la religion de ces
gens, et si le Grand Roi s’était présenté comme un pharaon égyptien. C’est,
d’une certaine façon, une question de forme.
— Une question… de forme ?
répéta Ptolémée.
— Eh oui, répliqua Eumène. De
forme. Un peuple qui vit pour les dieux et pour l’au-delà, un peuple qui
dépense des fortunes pour importer de l’encens qu’il fera brûler dans
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