Le Roman d'Alexandre le Grand
la
vie triompher au milieu de cette étendue immense et aride, d’autres
remercièrent les dieux de les avoir sauvés d’une mort atroce. Mais Alexandre
poursuivait sa marche silencieuse comme s’il n’avait jamais douté un instant
qu’il atteindrait son but. L’oasis était immense, couverte de dattiers chargés
de fruits, alimentée par une source merveilleuse qui bouillonnait en son
centre. Aussi limpide que le cristal, elle renvoyait l’image des palmiers vert
foncé et des monuments millénaires de cette ancienne et mystérieuse communauté.
Les hommes s’y précipitèrent, mais le médecin Philippe s’écria aussitôt :
« Non ! Non ! Cette eau est très froide. Désaltérez-vous
doucement, à petites gorgées. » Alexandre donna l’exemple en obéissant le
premier.
Non sans étonnement, les hommes
découvrirent qu’ils étaient attendus. Des prêtres étaient alignés sur les
marches du sanctuaire, précédés par leurs assistants qui agitaient des
encensoirs fumants. Mais ce voyage les avait accoutumés à l’idée que, sur cette
terre, tout pouvait arriver.
Le guide, qui servait également
d’interprète à Alexandre, lui traduisit les paroles du prêtre, qui les
accueillit en leur tendant une coupe d’eau fraîche et une corbeille de dattes
mûres. « Que cherches-tu, invité qui viens du désert ? Si tu cherches
de l’eau et de la nourriture, tu en trouveras, car la loi de l’hospitalité est
sacrée en ces lieux.
— Je cherche la vérité,
répondit Alexandre.
— Et auprès de qui cherches-tu
des paroles de vérité ? interrogea encore le prêtre.
— Auprès du plus grand des dieux,
le très haut Zeus Ammon, qui habite ce temple solennel.
— Alors reviens cette nuit, et
tu sauras ce que tu souhaites savoir. »
Alexandre s’inclina avant de
rejoindre ses compagnons, qui prenaient leurs quartiers près de la source. Il
vit Callisthène plonger ses mains dans l’eau et se mouiller le front.
« Est-il vrai que l’eau se
réchauffe à la tombée du soir et qu’elle devient tiède à minuit ?
— J’ai ma petite idée
là-dessus. À mon avis, la source a toujours la même température : c’est la
température extérieure qui varie énormément. Ainsi, quand elle est très élevée,
le matin, l’eau paraît gelée ; et quand il commence à faire frais, le
soir, l’eau semble plus chaude, voire tiède à minuit. Tout est relatif, dirait
mon oncle Aristote.
— Eh oui, acquiesça Alexandre.
As-tu reçu d’autres nouvelles de son enquête ?
— Non, pas depuis que je t’ai
transmis les dernières. Nous en aurons sans doute d’autres lorsque nos bateaux
reviendront avec les nouvelles recrues. Il a, semble-t-il, trouvé la trace
d’une conjuration perse, mais je sais ce qu’il dirait s’il se trouvait ici.
— Moi aussi. Il dirait que les
Perses avaient intérêt à faire assassiner mon père, mais qu’ils se seraient de
toute façon proclamés coupables de ce crime afin que les futurs rois de
Macédoine se gardent bien d’entreprendre des actions hostiles à leur encontre.
— C’est fort probable »,
admit Callisthène en plongeant de nouveau les mains dans l’eau de la source.
Philippe, le médecin, survint sur
ces entrefaites. « Regarde ce que les hommes ont trouvé, dit-il en agitant
un gros serpent à la tête rugueuse et triangulaire. Sa morsure peut tuer en
quelques instants. »
Alexandre examina la bête.
« Dis aux soldats de rester sur leurs gardes, ordonne qu’on l’empaille et
envoie-le à Aristote : il enrichira sa collection. Tu feras de même
lorsque tu verras des plantes intéressantes aux propriétés inconnues. Je te
donnerai pour chaque envoi une lettre d’accompagnement. »
Philippe acquiesça avant de
s’éloigner avec son serpent.
Assis au bord de la source, Alexandre
attendit que le soir tombe. Soudain, il vit l’image d’Aristandre se refléter
dans l’eau. Il fit volte-face.
« Es-tu toujours tourmenté par
le même cauchemar ? demanda le roi. Rêves-tu toujours d’un homme nu qui
brûle vif ?
— Et toi ? interrogea
Aristandre. Quels sont les cauchemars qui agitent tes nuits ?
— Il y en a beaucoup… trop
peut-être, répondit le roi. La mort de mon père, le massacre de Batis, que j’ai
traîné vivant derrière mon char autour de la muraille de Gaza, le fantôme de
Memnon qui se glisse entre Barsine et moi chaque fois que je la serre dans mes
bras, le nœud gordien que j’ai
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