Le Roman d'Alexandre le Grand
tonnerre.
Ils écoutèrent jusqu’à une heure
tardive la voix que le grand acteur modulait pour mieux traduire chaque nuance,
cette voix qui gémissait sous les pleurs des femmes ou s’élevait fièrement sous
le cri des héros. Quand Thessalos eut terminé, Alexandre l’embrassa.
« Merci, lui dit-il, les yeux luisants. Tu as évoqué les rêves qui
visiteront ma nuit. Maintenant, va dormir : une longue marche nous attend
demain. »
Ptolémée s’attarda un moment encore
et but du vin avec le souverain.
« T’arrive-t-il de penser à
Pella ? lui demanda-t-il soudain. T’arrive-t-il de penser à ta mère et à
ton père, à l’époque où nous étions enfants et galopions dans les collines de
Macédoine ? Aux eaux de nos fleuves et de nos lacs ? »
Alexandre sembla réfléchir un
moment, puis il répondit : « Oui, souvent, mais ces images me
paraissent lointaines comme si les événements qu’elles renferment s’étaient
déroulés il y a de nombreuses années. Notre vie est tellement intense qu’une
seule heure a le poids d’une année.
— Cela veut dire que nous
allons vieillir prématurément, n’est-ce pas ?
— Peut-être… ou peut-être pas.
La lanterne la plus vive de la salle s’éteindra la première, mais les convives
n’oublieront pas la beauté et la douceur de sa lumière pendant la fête. »
Il gagna l’entrée du pavillon et en
franchit le seuil en compagnie de Ptolémée. Les astres scintillaient en grand
nombre au-dessus du désert, et les deux jeunes gens levèrent la tête pour
contempler la voûte céleste.
« Tel est peut-être le destin
des étoiles les plus lumineuses. Que ta nuit soit sereine, mon ami.
— La tienne aussi,
Alexandre », répondit Ptolémée, et il s’éloigna en direction de sa tente,
à l’autre extrémité du camp.
Cinq jours plus tard, ils
atteignirent les rives du Nil à hauteur de Memphis, où se trouvaient déjà
Parménion et Néarque. Cette nuit-là, Alexandre revit Barsine. Elle habitait une
demeure somptueuse, l’ancien palais d’un pharaon, et ses quartiers, situés dans
la partie haute du bâtiment, étaient exposés au vent étésien, qui, le soir,
apportait une agréable fraîcheur et gonflait les rideaux de soie bleue, aussi
légers que des ailes de papillon.
Elle l’attendait, dans une tunique
ionienne très fine, assise sur un fauteuil orné de frises d’or et d’émail. Ses
cheveux noirs aux reflets violets recouvraient ses épaules et sa poitrine. Comme
les Égyptiennes, elle était à peine maquillée.
La lueur de la lune et celle des
lampes qu’on avait dissimulées derrière des écrans d’albâtre se mêlaient dans
des effluves de nard et d’aloès ; des fleurs de lotus et des pétales de
rose flottaient sur l’eau qui remplissait les bassins d’onyx en jetant des
reflets moirés de succin. Une douce musique de flûtes et de harpes s’échappait
d’un paravent dont les découpes représentaient des branches de lierre et des
oiseaux en vol. Sur les murs, d’anciennes fresques égyptiennes montraient des
scènes de danse, où des jeunes filles nues virevoltaient au son des luths et
des tambourins devant le couple royal, assis sur son trône. Dans un coin de la
pièce se dressait un grand lit dont le baldaquin bleu était soutenu par quatre
colonnes de bois doré, surmontées de chapiteaux en forme de fleurs de lotus.
Alexandre entra et lança vers
Barsine un long regard brûlant. Ses yeux étaient encore remplis de la lumière
aveuglante du désert, et les accents secrets de l’oracle d’Ammon vibraient
encore dans ses oreilles. Tout son corps dégageait une aura pleine de magie,
depuis ses cheveux dorés qui caressaient ses épaules à sa puissante poitrine
parcourue de cicatrices, en passant par ses yeux à la couleur changeante et par
ses mains fines traversées par des veines bleutées et turgescentes. Il avait
pour tout vêtement une chlamyde légère, qu’une boucle d’argent d’ancienne
facture, héritage séculaire de sa dynastie, retenait sur son épaule. Un ruban
d’argent lui ceignait le front.
Barsine se leva. Aussitôt, elle se
sentit perdue sous l’éclat de la lumière de son regard. Elle murmura son prénom
tandis qu’il la serrait dans ses bras, baisait ses lèvres humides, aussi
charnues que des dattes mûres, et la renversait sur le lit en lui caressant les
hanches et la poitrine.
Mais soudain, Alexandre sentit la
peau parfumée de Barsine se glacer et ses membres
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