Le Roman d'Alexandre le Grand
serra
contre sa poitrine tandis que des larmes brûlantes roulaient sur ses joues.
« Adieu, mon fils, dit Barsine,
la voix brisée par les pleurs. Qu’Ahura-Mazda et les dieux de ton père te
protègent. »
Étéocle se précipita le long du
couloir puis dévala l’escalier. Dans la cour du palais, les gardes lui
tendirent la bride d’un cheval. Mais alors qu’il s’apprêtait à bondir sur
l’animal, il vit une ombre surgir d’une petite porte latérale et se précipiter
vers lui : son frère Phraatès.
« Emmène-moi, je t’en supplie.
Je ne veux pas rester prisonnier de ces yauna. » Étéocle hésita un
instant, mais son frère insistait. « Emmène-moi, je t’en prie, je t’en
prie ! Je ne suis pas lourd, ce cheval nous portera bien jusqu’à ce que
nous en trouvions un autre.
— Je ne peux pas, répondit
Étéocle. Tu es trop jeune et puis… il ne faut pas que maman reste seule. Adieu,
Phraatès. Nous nous reverrons dès que la guerre sera terminée. Et c’est moi qui
viendrai te libérer. »
Il étreignit longuement son frère,
qui fondait en pleurs, puis sauta sur le cheval et disparut.
Barsine avait assisté à la scène
depuis la fenêtre de sa chambre. La vue de ce garçon de quinze ans qui courait
vers l’inconnu dans l’obscurité de la nuit lui brisait le cœur. Elle pleurait
désespérément en songeant combien le sort des êtres humains était amer. Un peu
plus tôt, elle avait eu le sentiment d’être une de ces divinités de l’Olympe
que les tableaux et les sculptures des grands artistes yauna représentaient et,
maintenant, elle aurait échangé sa condition avec celle de la plus humble des
esclaves.
2
Alexandre fit construire deux ponts de bateaux, que l’armée emprunta
pour atteindre la rive orientale du Nil. Il y retrouva les soldats et les
officiers auxquels il avait ordonné d’occuper la région et, au vu de leur
comportement, les confirma dans leurs charges, qu’il subdivisa de manière à ce
que le pouvoir dans cette région si riche, ne fût pas concentré dans les mains
d’une seule personne.
Le destin voulut que de tristes
événements frappent Alexandre au moment où les Égyptiens l’accueillaient à son
retour du sanctuaire d’Ammon, l’honorant comme un roi et le couronnant pharaon.
Le désespoir de Barsine s’étalait chaque jour, ou presque, devant ses yeux,
mais un malheur plus grand encore se préparait. Philotas n’était pas le seul
fils de Parménion ; il avait deux frères : Nicanor, officier dans un
escadron d’hétairoï ; et Hector, un garçon de dix-neuf ans que le général
aimait tendrement. Excité par la vue de l’armée qui traversait le fleuve,
Hector était monté sur une embarcation égyptienne en papyrus et avait gagné le
centre du fleuve pour mieux profiter du spectacle. Par vanité juvénile, il
avait enfilé une lourde armure et un manteau de parade voyant, et il se tenait
debout à la proue, où tout le monde pouvait l’admirer.
Soudain, le bateau heurta quelque
chose – peut-être le dos d’un hippopotame surgissant à la surface de l’eau – et
se déséquilibra dangereusement. Le garçon tomba et disparut aussitôt dans le
fleuve, entraîné par le poids de son armure et de ses vêtements trempés. Les
rameurs égyptiens plongèrent sans attendre, imités par Nicanor et par de jeunes
Macédoniens qui étaient présents, défiant les risques causés par les
tourbillons et la gueule des crocodiles, plutôt nombreux dans cette région.
Mais tous ces efforts se révélèrent inutiles. Impuissant, Parménion assista à
la tragédie de la rive orientale du fleuve, d’où il surveillait le passage
ordonné de l’armée.
Alexandre l’apprit un peu plus tard.
Il intima aussitôt aux marins phéniciens et chypriotes l’ordre de tout faire
pour récupérer le cadavre du garçon. Ceux-ci s’exécutèrent, mais en vain. Ce
soir-là, après des heures et des heures de recherches fébriles auxquelles il
avait lui-même pris part, le roi alla rendre visite au vieux général, pétrifié
de douleur.
« Comment se
porte-t-il ? », demanda-t-il à Philotas, qui semblait veiller à
l’extérieur de la tente sur la solitude de son père. Son ami secoua la tête
d’un air désespéré.
Parménion était assis par terre dans
le noir ; seule sa tête blanche se détachait dans l’obscurité. Alexandre
sentit ses genoux trembler, il éprouva une profonde compassion pour cet homme
courageux et fidèle
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