Le Roman d'Alexandre le Grand
au cours de laquelle il constata qu’il était impossible de
passer à gué : il pleuvait en montagne et le fleuve avait grossi. Il n’y
avait qu’une façon de le traverser : construire un pont. Aussi, les
charpentiers phéniciens se mirent-ils à l’ouvrage sous les ordres de Néarque.
Les planches étaient marquées à la flamme des lettres de leur alphabet de
manière à signaler les points d’encastrement pour les tenons qui les fixeraient
les unes aux autres.
Quand tous les bateaux furent prêts,
on procéda au montage du pont : les marins plaçaient chaque embarcation
dans la bonne position, ils l’ancraient au fond, l’accrochaient à la
précédente, puis y étalaient le plancher, qu’ils garnissaient de parapets. Mais
ils s’étaient à peine attelés à la tâche quand les troupes de Mazéos firent
leur apparition : elles étaient composées de cavaliers syriens et arabes,
de fantassins grecs, qui commencèrent aussitôt à perturber leur travail en
lançant des attaques vers le centre du fleuve, en jetant des traits
incendiaires et des brûlots trempés dans la naphte. Introduits de nuit en
amont, ceux-ci descendaient le courant à grande vitesse, pareils à des globes
de flammes, et se heurtaient aux travaux de Néarque, qu’ils incendiaient de la
sorte.
Les jours passaient, et l’ouvrage
n’avançait pas. L’armée d’Alexandre n’allait pas tarder désormais à se
présenter avec ses dix mille cavaliers et ses deux mille chars remplis de
provisions. Refusant de se laisser prendre au dépourvu, Héphestion
s’entretenait fréquemment avec Néarque en espérant trouver une solution. Une
nuit, alors qu’ils en discutaient, assis sur la rive du fleuve, Néarque lui
tapa l’épaule. « Regarde, dit-il.
— Quoi ?
— Cet homme. »
Suivant la direction que l’amiral
lui indiquait, Héphestion aperçut sur l’autre rive un cavalier solitaire qui
tenait un flambeau.
« De qui peut-il s’agir ?
— D’un homme qui veut nous
parler, semble-t-il.
— Que faisons-nous ?
— Je pense que tu devrais le
rejoindre. Prends une barque, traverse et écoute ce qu’il a à te dire. Nous
essaierons de te couvrir si cela se révèle nécessaire. »
Héphestion acquiesça. Il se fit
conduire sur l’autre rive, où il rejoignit le mystérieux cavalier.
« Salut, lui dit ce dernier
dans un excellent grec.
— Salut, répondit Héphestion.
Qui es-tu ?
— Je me nomme Nabounaid.
— Que veux-tu ?
— Rien. Demain, nous détruirons
votre pont, mais avant cette dernière bataille, je voudrais te donner ceci afin
que tu le remettes à Baaladgar, au cas où tu le verrais. »
« Eumolpos de Soles »,
pensa Héphestion en examinant l’objet que l’homme lui tendait : une
statuette de terre cuite dont la base était décorée de caractères en forme de
coins.
« Pourquoi ?
— Il m’a guéri d’un mal
incurable et je lui ai promis de lui remettre en échange une chose à laquelle
il tenait beaucoup. La voici. »
« Qui l’eût cru ? pensa
Héphestion. Et moi qui le prenais pour le dernier des charlatans. »
« D’accord, répondit-il. Je la
lui donnerai. As-tu autre chose à me dire ?
— Non », répliqua
l’étrange personnage.
Il s’éloigna en éperonnant sa
monture, son flambeau à la main. Héphestion retourna auprès de Néarque, qui
l’attendait sur le dernier bateau en bon état encore ancré.
« Sais-tu qui était cet
homme ? lui demanda l’amiral dès qu’il le vit s’approcher du mouillage.
— Non, pourquoi ?
— Si je ne me trompe, il
s’agissait de Mazéos, le satrape de Babylonie.
— Par Héraclès ! Mais
qu’est-ce que…
— Que t’a-t-il dit ?
— Qu’il nous taillera en
pièces, mais qu’il a une dette envers Baaladgar, c’est-à-dire Eumolpos de
Soles. Il m’a prié de lui remettre cette… » Et il lui montra la statuette.
« Cela signifie qu’il respecte ses
engagements. Mais pour ce qui est de nous tailler en pièces, j’ai eu une idée,
et nous allons lui faire une belle surprise dans deux jours.
— Quoi ?
— J’ai fait transporter en
amont les bateaux encore démontés.
— Presque tous ceux que nous
possédons.
— En effet. Je vais ordonner
qu’on les remonte dans un bois où personne ne pourra nous voir. Après quoi,
nous y embarquerons trois cents cavaliers, que nous ferons passer sur l’autre
rive, et nous attaquerons de nuit le campement de Mazéos. Une fois les
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