Le Roman d'Alexandre le Grand
tel qu’on pouvait désormais l’apercevoir du
campement : l’horizon évoquait un absurde coucher de soleil méridional.
« Les récoltes viennent juste
d’être engrangées : à l’heure qu’il est, il ne doit plus rester un grain
de blé ou d’orge jusqu’à Babylone. Il faut qu’Alexandre soit mis au courant
sans tarder ! », s’exclama Héphestion. Il appela un courrier et l’envoya
immédiatement sur la route de Tyr.
Entre-temps, Alexandre avait achevé
le ramassage des vivres et des équipements, ainsi que le regroupement des chars
destinés au transport. Il devait quitter la côte le lendemain en direction du
gué de Thapsaque. Le bruit d’un départ imminent s’étant déjà répandu, le
cortège fourni qui suivait spontanément l’armée et prenait ses quartiers non
loin d’elle durant les haltes s’était également préparé. Il était constitué de
marchands qui proposaient toutes sortes d’objets, de prostitués des deux sexes,
mais aussi de filles de familles pauvres qui avaient noué des relations
durables avec les soldats de l’armée. Nombre d’entre elles étaient enceintes,
certaines avaient déjà accouché de beaux bébés à la peau sombre et aux yeux
bleus, ou aux cheveux blonds.
Ce jour-là, à la tombée du soir, un
navire macédonien accosta avec une cargaison de hampes en frêne et en
cornouiller pour les lances, d’armures et de pièces destinées aux machines de
guerre. Mais l’un des hommes de l’équipage courut aussitôt vers la vieille
ville et demanda où se trouvait l’habitation de Callisthène.
Il portait un sac en bandoulière et
quand il eut atteint la porte qu’on lui avait indiquée, il frappa discrètement.
« Qui êtes-vous ? »,
s’écria Callisthène de l’intérieur. L’individu se garda de répondre et frappa
une nouvelle fois. L’historien alla ouvrir : un homme plutôt robuste, à la
barbe épaisse, aux cheveux noirs et bouclés, se dressait devant lui. Il le
salua d’une courbette.
« Je me nomme Hermocratès et
j’appartiens à la garde d’Antipatros. C’est Aristote qui m’envoie.
— Entre », l’invita
Callisthène d’un air inquiet.
L’homme s’exécuta en jetant un coup
d’œil autour de lui ; il avait les mouvements hésitants de ceux qui ont
passé un certain temps en mer. Il demanda l’autorisation de s’asseoir et une
fois celle-ci obtenue, s’installa tandis que Callisthène s’emparait de son sac
et le déposait avec précaution sur la table.
« Aristote m’a chargé de te
remettre ceci, dit l’homme en tendant à son hôte une boîte en fer. Et ce message. »
L’historien saisit la lettre tout en
continuant d’examiner l’objet avec une inquiétude croissante.
« Pourquoi cette boîte me
parvient-elle si tard ? J’aurais déjà dû l’avoir reçue depuis longtemps.
J’ignore si… »
Il se mit à parcourir la lettre. Elle
provenait sans aucun doute d’Aristote, mais elle était chiffrée et privée
d’en-tête. Elle disait :
Ce médicament provoque la mort à
plus de dix jours d’intervalle avec des symptômes semblables à ceux d’une grave
maladie. Détruis-le quand tu en auras fait usage. Et si tu n’en fais pas usage,
détruis-le quand même. Ne le touche sous aucun prétexte et ne renifle pas son
odeur.
« Je t’attendais il y a un an,
répéta Callisthène en prenant la boîte avec une grande prudence.
— Hélas, mon voyage a connu de
nombreuses péripéties. Poussé par un vent de Borée, mon bateau a dérivé pendant
plusieurs jours avant de couler en face d’une côte déserte et inhospitalière de
la Libye. Mes compagnons de naufrage et moi avons marché des mois durant en
nous nourrissant de poissons et de crabes. Une fois aux confins de l’Egypte,
j’ai eu connaissance de l’expédition du roi au sanctuaire d’Ammon. J’ai gagné,
toujours à pied, un port du Delta, où j’ai déniché un bateau qui avait
également perdu sa route à cause d’un vent du nord. Finalement, j’ai pu
m’embarquer pour Tyr, où on m’a dit que se trouvait le roi avec l’armée et ses
compagnons.
— Tu es un homme courageux et
fidèle. Permets-moi de te récompenser, dit Callisthène en tirant sa bourse.
— Je ne veux pas de récompense,
répliqua Hermocratès, mais j’accepterais volontiers un peu d’argent car je n’en
ai plus et je ne sais comment retourner en Macédoine.
— As-tu faim ? soif ?
— Je mangerais bien quelque
chose. La
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