Le Roman d'Alexandre le Grand
cavaliers
débarqués, les bateaux regagneront cette rive et mes charpentiers les
accrocheront tranquillement les uns aux autres. Il te suffira ensuite de
traverser le pont et de prêter main forte aux cavaliers avec l’aide de la
Pointe. Nous gagnerons. Ils perdront. Le gué de Thapsaque nous appartient. Fin
de la partie. »
Héphestion le dévisagea : ce
Crétois aux cheveux crépus et à la peau sombre savait se débrouiller avec ses
bateaux. « Quand commence-t-on ? demanda-t-il.
— Nous avons déjà commencé,
répondit Néarque. Après avoir eu cette idée, j’ai jugé inutile de perdre plus
de temps. Certains de mes hommes sont partis en reconnaissance. »
8
La manœuvre de Néarque fut déclenchée deux jours plus tard, après
minuit. Débarqués sur la rive gauche du fleuve, les cavaliers se mirent
aussitôt à avancer vers le sud. Les marins qui dirigeaient les bateaux,
désormais vides, patientèrent un peu afin de donner à la cavalerie le temps
d’attaquer, puis ils se jetèrent dans le courant et descendirent rapidement
l’Euphrate.
À hauteur du campement d’Héphestion,
ils entendirent le cri des Perses qui subissaient l’assaut des attaquants
macédoniens. Néarque leur ordonna aussitôt d’accrocher leurs embarcations et de
les placer côte à côte en les amarrant solidement. Tandis que la bataille
faisait rage dans le camp ennemi, il parvint à fixer cette structure à la rive
gauche et à ancrer fermement à terre le dernier bateau.
Les attaquants commençaient à lâcher
pied quand Héphestion surgit sur le pont, à la tête de la Pointe, et se porta
au secours de ses hommes épuisés. L’affrontement redoubla de férocité. Au
centre de la formation ennemie, les mercenaires grecs opposaient une résistance
acharnée aux assauts de la cavalerie, en formant le carré et en se protégeant à
l’aide de leurs lourds boucliers.
Mais soudain, l’inattendu se
produisit : comme s’ils obéissaient à un signal subit, les Perses prirent
la fuite en se retirant vers le sud. Isolés et encerclés de toutes parts, les
Grecs durent se rendre. Héphestion planta l’étendard rouge frappé de l’étoile
argéade au centre du campement ennemi, sur la rive gauche de l’Euphrate. Il fut
bientôt rejoint par Néarque.
« Tout va bien ?
demanda-t-il.
— Tout va bien, amiral. Mais je
me demande comment tu peux jouer avec ces coquilles de noix, toi qui as
l’habitude de diriger des escadres de quinquérèmes.
— Il faut s’arranger avec ce
qu’on a, Héphestion, répondit Néarque. L’important, c’est de vaincre. »
Les officiers des diverses
subdivisions donnèrent l’ordre de monter le camp et envoyèrent des détachements
d’éclaireurs en reconnaissance dans la campagne. En atteignant le sommet d’une
modeste hauteur qui permettait d’embrasser du regard la région en direction du
sud, certains aperçurent une ligne rouge à l’horizon.
« Un incendie ! s’exclama
le commandant du détachement. Vite, allons voir !
— Un autre ici ! s’écria
l’un des cavaliers.
— Et là, vers la rive du
fleuve, encore un ! lui fit écho la voix d’un compagnon. Des flammes
s’élèvent de toutes parts.
— Qu’est-ce que ça peut
être ? », demanda un troisième.
Le regard du commandant se posa à
nouveau vers le vaste halo de feu qui illuminait le ciel à l’horizon. « Ce
sont les Perses, répondit-il. Les Perses qui brûlent tout. Ils détruisent tout
sur leur passage de façon à ne rien laisser le long de notre route. Ils veulent
que nous mourions de faim et d’épuisement. Allons jeter un coup d’œil »,
finit-il par dire en éperonnant son cheval en direction des incendies.
Ils s’élancèrent, le fleuve à main
droite, et ils eurent bientôt la confirmation de ce qu’ils avaient
deviné : dans la plaine et le long des berges de l’Euphrate, des villages
brûlaient. Ceux qui se dressaient au sommet de petites collines de boue séchée
dégageaient des colonnes de fumée et des étincelles qu’on pouvait nettement
distinguer dans le ciel. Partout, des cavaliers brandissaient des torches et
des tisons, créant un spectacle terrible et impressionnant.
« Rentrons, ordonna le
commandant. Nous en avons déjà trop vu. » Il tira sur les rênes de sa
monture et la poussa vers le campement. Quelques instants plus tard, il
rapportait à Néarque et Héphestion ce qui était arrivé. Mais le reflet de
l’incendie dans le ciel était
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