Le Roman d'Alexandre le Grand
travail
formidable. Veille à ce que tout le monde reçoive une récompense, et en
particulier l’architecte qui a construit les machines. Je n’avais jamais rien
vu de la sorte.
— Le mérite en revient aussi à
nos chorèges : le roi de Chypre a financé la mise en scène sans regarder à
la dépense et… il y a autre chose, ajouta-t-il. Nous avons reçu des nouvelles
du front perse. Je te les livrerai ce soir après l’audience. »
Puis il s’éloigna pour organiser la
cérémonie de remise des prix.
Les juges, parmi lesquels on avait
nommé par politesse certains hôtes athéniens de la délégation en visite, se
retirèrent dans la chambre du conseil et exprimèrent leur vote : le prix
qui récompensait la meilleure mise en scène fut attribué à Alceste, et celui du
meilleur protagoniste couronna Athénodore, qui avait joué le rôle de la reine
d’Argos avec une voix de fausset, le visage recouvert d’un masque féminin.
Le souverain fut déçu, mais il
essaya de dissimuler son désappointement en applaudissant poliment le
vainqueur.
« Ne te fâche pas, ils ont
récompensé sa petite voix de tapette », dit Eumène.
Un peu plus tard, Ptolémée murmura à
l’oreille de Séleucos : « Connaissant Alexandre, cela ne favorisera
pas les requêtes du gouvernement athénien à l’audience de ce soir.
— Non, mais de toute façon, ils
ne pouvaient pas nourrir trop d’espoirs : le roi Agis de Sparte attaque
nos garnisons et les Athéniens pourraient avoir des tentations qu’il vaut mieux
décourager sans tarder. »
Séleucos ne se trompait pas :
quand vint le moment, le roi reçut les ambassadeurs d’Athènes et écouta avec
attention leurs requêtes.
« Jusqu’à présent, la ville
s’est comportée loyalement, commença le chef de la délégation, un membre de
l’assemblée âgé et expérimenté ; elle t’a appuyé tout au long de la
conquête de l’Ionie et a éloigné les pirates qui infestaient les mers, te
garantissant ainsi les voies de communication avec la Macédoine. Nous te
demandons donc une grâce : relâche les prisonniers athéniens qui sont
tombés entre tes mains au cours de la bataille du Granique. Leurs familles sont
impatientes de les serrer à nouveau dans leurs bras, la cité est prête à les
accueillir. Il est vrai qu’ils se sont trompés, mais ils l’ont fait en toute
bonne foi, et ils ont durement payé le prix de leur erreur. »
Le roi échangea un rapide coup d’œil
avec Séleucos et Ptolémée, puis il répondit : « J’avais l’intention
de satisfaire votre requête, mais les temps ne sont pas encore mûrs pour en
finir complètement avec le passé. Je libérerai donc cinq cents hommes, tirés au
sort ou choisis par vous. Les autres resteront encore quelque temps avec
moi. »
Le chef de la délégation athénienne
n’essaya même pas de répliquer : il connaissait le caractère d’Alexandre.
Il se retira donc en ruminant sa colère. Il savait que le roi ne revenait
jamais sur ses décisions, en particulier dans le domaine de la politique et de
la stratégie.
Dès que les ambassadeurs furent
partis, les membres du conseil se levèrent pour sortir à leur tour. Eumène
resta seul auprès d’Alexandre.
« Alors ? l’interrogea le
roi. Et ces nouvelles dont tu me parlais ?
— Tu ne vas pas tarder à les
apprendre. Il y a une visite pour toi. »
Il alla ouvrir une porte secondaire
et introduisit un personnage à l’aspect étrange : il avait une barbe
teinte en noir et soigneusement bouclée, des cheveux frisés au fer de la même
façon, et il portait des vêtements de facture syrienne. Alexandre le reconnut à
grand-peine.
« Eumolpos de Soles ! Mais
quel est cet accoutrement ?
— J’ai changé d’identité.
Désormais, je m’appelle Baaladgar et je jouis d’une bonne réputation auprès des
Syriens en qualité de magicien et de devin, répondit-il. Mais comment dois-je
m’adresser au jeune dieu, seigneur du Nil et de l’Euphrate, dont le nom fait
trembler de peur l’Asie tout entière ? » Puis il demanda :
« Le chien est-il dans les parages ?
— Non, répondit Eumène. Es-tu
aveugle ?
— Alors ? Quelles
nouvelles m’apportes-tu ? », demanda Alexandre.
Eumolpos épousseta une chaise avec
un pan de son manteau et s’y installa après en avoir reçu l’autorisation.
« Cette fois-ci, je t’ai mieux servi que jamais, commença-t-il. Voilà ce
qu’il en est : le Grand Roi rassemble
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