Le Roman d'Alexandre le Grand
le
personnage qui accompagnait son ami. C’était Eumolpos de Soles. « Mais qui
vois-je ! s’exclama-t-il en ricanant. L’homme qui a sauvé son cul du pal
perse en baisant une armée entière.
— Tais-toi, gros bêta, lui
lança l’informateur, et écoute-moi si tu as envie de sauver ton propre cul et
la vermine qui y est logée. »
Étonné par tant de mystère,
Héphestion les fit entrer sous la tente et leur versa du vin. Eumène avala une
gorgée avant de commencer : « Eumolpos n’a pas dit toute la vérité à
Alexandre.
— C’est bizarre, je m’en
doutais.
— Et il a eu raison, par
Zeus ! Alexandre veut charger comme un taureau sans compter ses forces ni
celles de l’ennemi.
— Une juste intention :
voilà comment nous avons remporté les batailles du Granique et d’Issos.
— Au Granique, les deux armées
s’équilibraient plus ou moins, et nous nous en sommes tirés à Issos grâce à une
bonne dose de chance. Il s’agit ici d’un million d’hommes. As-tu compris ?
Un million d’hommes. Cent myriades. Sais-tu compter ? Je ne pense pas.
Quoi qu’il en soit, moi, j’ai fait le compte : une fois alignés sur six
rangées, ils nous déborderont sur plus de trois stades aussi bien à droite qu’à
gauche. Et les chars à faux ? Comment nos hommes réagiront-ils devant ces
machines effroyables ?
— Et moi ? Qu’est-ce que
je viens faire là-dedans ?
— Je vais te le dire sans
tarder, intervint Eumolpos. Le rand Roi va envoyer Mazéos, le satrape de
Babylonie et son bras droit, occuper le gué de Thapsaque. Cet homme est un
vieux renard qui connaît le moindre pouce de territoire jusqu’à l’embouchure de
l’Indus. Il dispose, en outre, de plusieurs milliers de mercenaires grecs, de
véritables durs à cuire capables de vous faire cracher tripes et boyaux. Et je
vais te dire une chose : Mazéos s’entend fort bien avec ces garçons parce
qu’il parle le grec mieux que toi.
— Je ne comprends toujours pas.
— Depuis un certain temps,
Mazéos est sujet à un profond abattement : il est persuadé que l’empire de
Cyrus le Grand et de Darius est désormais sur le déclin.
— Tant mieux, et alors ?
— Alors, puisque l’homme qui
m’a fourni cette information appartient à l’entourage de Mazéos, il n’est pas
exclu qu’on puisse s’entendre avec le vieux renard. Me suis-je expliqué ?
Plus ou moins.
— Si tu as l’occasion de le
rencontrer, entretiens-toi avec lui, dit Eumène. Néarque le reconnaîtra :
il l’a déjà vu à Chypre.
— Ça peut se faire. Et
ensuite ?
— Une défaite est dans l’ordre
du possible quand on se bat contre un million d’hommes. Un coup de main
pourrait être utile.
— Vous voulez que je le pousse
à trahir son camp ?
— Plus ou moins, confirma
Eumolpos.
— J’en parlerai à Alexandre.
— Es-tu fou ? s’écria
Eumène.
— C’est à cette seule
condition. Sinon, pas question. »
Eumolpos secoua la tête :
« De sales gosses qui refusent d’écouter ceux qui en savent plus long
qu’eux… Alors, vas-y, agis à ta façon, et casse-toi le nez. » Il sortit,
suivi du secrétaire. Les deux hommes faillirent croiser Alexandre, qui allait
se promener sur le rivage en compagnie de Péritas. Le chien se mit aussitôt à
aboyer dans leur direction. Alors les yeux d’Eumène se posèrent sur le chien
puis sur l’espion auquel il demanda : « De quoi ta perruque est-elle
faite ? »
Il fallut sept jours à l’armée
d’Héphestion pour atteindre la rive de l’Euphrate à Thapsaque, une ville qui
regorgeait de marchands, de voyageurs, d’animaux et de marchandises en tout
genre : les gens y accouraient de toutes parts car c’était le seul endroit
où l’on pouvait traverser le fleuve à gué.
Bien qu’elle fût située à
l’intérieur des terres, la ville avait des origines phéniciennes, et son nom
signifiait justement « gué » passage ». Son aspect n’était en
rien agréable : elle ne présentait ni monuments ni temples, ni même
portiques ou statues, mais les usages de ses habitants, les habitudes des
marchands et le nombre incroyable des prostituées qui vendaient leurs charmes
aux muletiers et aux chameliers travaillant le long des rives la rendaient fort
pittoresque. On y parlait une curieuse langue commune, un mélange de syrien, de
cilice, de phénicien et d’araméen, et quelques mots de grec.
Héphestion effectua une première
reconnaissance,
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