Le Roman d'Alexandre le Grand
d’une muraille ; ses tours étaient
décorées de céramiques étincelantes, et leurs crénelures d’ornements de bronze
doré et d’argent.
Lorsque l’armée arriva, les portes
de la ville s’ouvrirent devant un détachement de cavaliers somptueusement
vêtus, qui escortaient un dignitaire coiffé d’une mitre molle et armé d’une
akinaké.
« Il doit s’agir d’Aboulitès, dit
Eumène à Alexandre. C’est le satrape de la Susiane, il a sans doute l’intention
de se rendre. Aristoxène, l’homme d’Eumolpos, me l’a appris cette nuit. Et il
semble que le trésor soit encore intact… ou presque. »
Le satrape s’approcha, il mit pied à
terre et se prosterna devant Alexandre, ainsi que le voulait la coutume
iranienne. « La ville de Suse t’accueille en paix et ouvre ses portes à
l’homme qu’Ahura-Mazda a choisi pour succéder à Cyrus le Grand. »
Alexandre hocha gracieusement la
tête et l’invita à remonter sur son cheval et à l’accompagner.
« Je n’aime pas ces barbares,
dit Léonnatos à Séleucos. Tu as vu ? Ils se rendent sans combattre en
trahissant leur souverain, et Alexandre les maintient à la place qu’ils
occupaient. Ils ont été battus, mais qu’est-ce que cela change pour eux ?
Absolument rien. Alors que nous, nous continuons à nous casser le cul en
chevauchant jour et nuit. Ce maudit pays finira-t-il un jour ?
— Alexandre a raison, répliqua
Séleucos. Il laisse les vieux gouverneurs à leur poste, afin que les gens
n’aient pas l’impression d’être dirigés par des étrangers. Mais les percepteurs
des impôts et les chefs militaires sont tous macédoniens. C’est différent,
crois-moi. Et puis, cela a un avantage : les villes nous ouvrent leurs portes.
Nous n’avons plus monté une seule machine de siège depuis que nous avons quitté
la côte. Préférerais-tu en baver comme à Halicarnasse et à Tyr ?
— Non, mais…
— Alors, réjouis-toi.
— Oui, mais… je n’aime pas voir
ces barbares aux côtés d’Alexandre et à sa table. Je n’aime pas ça, voilà tout.
— Tranquillise-toi, il ne se
passera rien. Alexandre sait ce qu’il fait. »
Aux quatre coins de la ville de
Suse, une cité immense et vieille de trois mille ans, se trouvaient quatre
collines. Sur l’une d’elles se dressait le palais royal, que les rayons du
soleil couchant éclairaient à ce moment-là. Il était précédé d’un pronaos
majestueux, constitué de grandes colonnes de pierre dont les chapiteaux en
forme de taureaux ailés soutenaient le plafond. Suivait une entrée pavée de
marbres de différentes couleurs, partiellement couverte de magnifiques tapis.
D’autres colonnes, en bois de cèdre peint en rouge et jaune, s’y élevaient.
Alexandre traversa un couloir et une autre entrée avant de pénétrer dans
l’apadana, la grande salle des audiences, tandis que les dignitaires, les
eunuques et les chambellans reculaient sur les côtés de l’immense salon en
baissant la tête jusqu’au sol, ou presque.
Suivi de ses compagnons et de ses
généraux, le souverain avança jusqu’au trône des empereurs achéménides et s’y
assit. Mais comme il était de taille moyenne, ses pieds ne touchaient pas le
sol ; ils pendaient même d’une façon peu royale. Notant son embarras,
Léonnatos, qui avait une sensibilité toute militaire pour ce genre de choses,
avisa un meuble de cèdre et le poussa vers le roi afin qu’il puisse s’en servir
de tabouret et y poser les pieds. Après quoi, Alexandre s’adressa aux membres
de l’assistance.
« Mes amis, ce qui semblait un
rêve il y a encore peu de temps s’est transformé en réalité. Deux des plus
grandes capitales du monde, Babylone et Suse, sont à présent entre nos mains,
et nous prendrons bientôt possession des autres. » Entendant des sanglots
étouffés non loin de là, il s’interrompit aussitôt. Il balaya du regard la grande
salle silencieuse, dans laquelle ces pleurs résonnèrent encore plus fort. L’un
des eunuques du palais sanglotait, la tête contre le mur. Comprenant que le roi
désirait le voir, ses voisins s’écartèrent, et l’homme se retrouva isolé et en
larmes sous le regard du souverain.
« Pourquoi
pleures-tu ? », lui demanda Alexandre. L’homme se déroba en essuyant
ses larmes. « Allez, tu peux parler librement.
— Ces châtrés, murmura
Léonnatos à l’oreille de Séleucos, pleurnichent pour un rien comme les
femelles, mais on dit qu’ils
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