Le Roman d'Alexandre le Grand
laquelle assistèrent des centaines de convives. On y servit
les mets les plus raffinés, les vins et les boissons les plus enivrants, et on
y vit danser les plus belles filles de tout l’Orient : mèdes,
caucasiennes, babyloniennes, arabes, hyrcaniennes, syriaques et juives.
Pendant les trente jours qui
suivirent, les banquets et les orgies se succédèrent : rien ne fut refusé
aux soldats qui l’avaient emporté sur le Granique, à Issos et à Gaugamèle, qui
s’étaient emparés de Milet et d’Halicarnasse, de Tyr et de Gaza, et qui
allaient se lancer dans une nouvelle aventure, sur un parcours hérissé de
difficultés.
Un soir qu’Alexandre s’était retiré
dans le « palais d’été » en quête de fraîcheur, Perdiccas demanda à
être reçu.
Son buste était encore enveloppé
dans les bandages qui recouvraient la blessure reçue à Gaugamèle, et ses yeux
avaient un étrange éclat, qu’on pouvait prendre aussi bien pour de l’ivresse
que pour de la mélancolie.
C’est pourquoi le roi
l’interrogea : « Comment te portes-tu, Perdiccas ?
— Bien, Alexandre.
— Tu as demandé à me parler.
— Oui.
— Qu’as-tu donc à me
dire ?
— Ta sœur, la reine Cléopâtre,
est veuve depuis plus d’un an.
— Hélas…
— Je l’aime, je l’ai toujours
aimée.
— Je le sais.
— Comment le sais-tu ?
s’écria Perdiccas non sans embarras.
— Je le sais, c’est tout.
— Je viens te demander sa
main. »
Alexandre observa un moment de
silence.
« Je fais preuve d’une grande
audace, n’est-ce pas ? dit Perdiccas, les yeux embués, presque égarés.
Mais je n’aurais jamais eu le courage de te parler si je ne m’étais pas d’abord
enivré.
— La « coupe
d’Héraclès » ?
— La « coupe
d’Héraclès », acquiesça Perdiccas.
— Le fait est que…
— Quoi ? s’exclama
Perdiccas avec une angoisse pathétique.
— Que Ptolémée aussi m’a
demandé sa main.
— Ah !
— Ainsi que Séleucos.
— Lui aussi… Personne
d’autre ?
— Personne, à l’exception de
Lysimaque, d’Héphestion et toi-même, bien sûr.
— Parménion aussi ?
— Non, pas lui.
— Tant mieux. Alors, je n’ai
aucun espoir.
— Pour te dire la vérité, je
crois que tu es le seul à avoir demandé la main de Cléopâtre dans le but de
t’unir à la femme que tu aimes, et non à la sœur d’Alexandre, mais cela ne
suffit pas. Il s’est écoulé peu de temps depuis la mort d’Alexandre d’Épire, et
de toute façon l’homme qui l’épousera devra montrer qu’il est le plus digne,
qu’il est prêt à prendre tous les risques, à accepter tous les sacrifices, à
supporter des privations et des souffrances que tu ne peux même pas
imaginer. »
Perdiccas avait recouvré assez de
lucidité pour avoir envie de pleurer, et il répondit : « N’ai-je pas
affronté tout cela pour toi ?
— Ni plus ni moins que tes
camarades. Mais le plus difficile nous attend, mon ami. Dans vingt jours, nous
nous remettrons en marche pour reprendre la conquête de cet empire, pour
harceler Darius jusque dans les provinces les plus lointaines, après quoi nous
reviendrons dans cette ville. Alors, seulement, je saurai qui est le plus
digne. Et maintenant, va, choisis une belle fille, il y en a tant, et
amuse-toi : la vie est courte. »
Perdiccas s’éloigna, et Alexandre se
tourna vers le grand balcon fleuri qui donnait sur la ville, sur le fleuve
étincelant de lumières et sur le ciel fourmillant d’étoiles.
18
Au cours de son séjour à Babylone, Alexandre se consacra à
l’organisation des nouvelles provinces et de la nouvelle administration, ainsi
qu’à l’élaboration de son plan d’action pour l’année suivante. Un soir, il
convoqua ses compagnons et le conseil de guerre au complet dans le
« palais d’été », où un léger souffle de vent rendait la chaleur de
ces terres basses plus supportable, en particulier au couchant.
« Je désire vous communiquer
mes plans, commença-t-il. Après avoir conquis les ports pendant notre première
année de campagne, afin d’interdire à la flotte perse l’accès à notre mer et
d’empêcher une contre-invasion de la Macédoine, j’ai décidé d’occuper les
capitales de l’empire. Il est clair, en effet, que le règne de Darius a pris
fin et que toutes ses possessions sont désormais entre nos mains. Babylone nous
appartient, nous nous emparerons aussi de Suse, d’Ectabane, de
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