Le Roman d'Alexandre le Grand
couloirs et les
salons du palais royal n’avaient pas changé, un langage hostile et
incompréhensible résonnait maintenant dans la demeure, et l’avenir leur
semblait obscur et inquiétant. Seule la reine mère paraissait tranquille,
plongée dans la mystérieuse sérénité de sa sagesse : elle avait demandé et
obtenu l’autorisation de veiller elle-même à l’éducation de Phraatès, le fils
cadet de Barsine et seul survivant de cette famille, dans le cas où il
arriverait quelque chose à son grand-père, le satrape Artabaze.
Alexandre rendit visite à plusieurs
reprises aux femmes du harem impérial. Il y pénétra parfois en compagnie
d’Héphestion, et les adolescentes qui l’habitaient prirent l’habitude d’aimer
le roi et son ami de la même façon, comblant chacun de leurs désirs et
partageant le même lit dans les nuits parfumées de cet été brûlant, écoutant le
chant et la musique de leurs compagnes et les bruits de l’immense métropole,
jadis pleins de gaieté et désormais assourdis par la peur d’un futur incertain.
Tout le temps qu’il séjourna à Suse,
il alla trouver quotidiennement la reine mère, avec qui il bavardait par le
biais d’un interprète. La veille de son départ, il lui tint un discours
similaire à celui qu’il lui avait tenu le jour qui avait précédé la bataille de
Gaugamèle. « Mère, lui dit-il, je vais partir à la poursuite de ton fils
dans les recoins les plus éloignés de son empire. Je crois en mon destin, et je
crois que ma conquête a été favorisée par les dieux ; voilà pourquoi je ne
laisserai pas mon œuvre inachevée. Mais je te promets qu’en ce qui me concerne,
je ne ferai aucun mal à Darius et que j’essaierai de lui sauver la vie. J’ai
ordonné aux meilleurs maîtres de t’apprendre ma langue car j’aimerais
l’entendre un jour résonner sur tes lèvres et t’écouter sans que personne ne se
glisse entre nous pour interpréter nos pensées. »
La reine mère plongea les yeux dans
ceux d’Alexandre en murmurant des mots que l’interprète ne parvint pas à
traduire, car elle s’était exprimée dans une langue mystérieuse et secrète que
seul son dieu était en mesure de comprendre.
19
Un matin d’automne, alors que la ville dormait encore dans l’ombre et
que les premiers rayons de soleil caressaient les sommets de l’Élam, les
trompettes sonnèrent le signal de départ. L’armée fut divisée en deux :
Parménion conduirait le gros des forces, les chars transportant les machines de
guerre en pièces détachées et le ravitaillement le long de la route du roi,
tandis qu’Alexandre emprunterait, avec les forces légères, les attaquants et
les Agrianes, le sentier de montagne qui franchissait les monts de l’Élam en
direction de Persépolis, la capitale qu’avait fondée Darius le Grand.
Précédé par des guides susiens, il
remonta le cours du fleuve et grimpa vers le col qui donnait sur les hauts
plateaux, où vivait un peuple indompté de bergers sauvages et primitifs :
les Uxiens. Quand il leur demanda, par le biais de l’interprète, l’autorisation
de passer, Alexandre reçut la réponse suivante : « Pour cela, il te
faudra payer, comme le faisait le Grand Roi quand il voulait se rendre de Suse
à Persépolis par le chemin le plus court. »
Alexandre répliqua : « Le
Grand Roi n’est plus à la tête de son empire, et ce qu’il faisait ne me
convient pas. Je passerai que vous le veuillez ou non. »
Les Uxiens étaient effrayants :
revêches et hirsutes, vêtus de peaux de chèvres et de moutons, ils dégageaient
la même odeur pestilentielle que leurs bêtes ; mais, à l’évidence, ils ne
se laissaient pas intimider facilement et n’étaient pas prêts à donner quoi que
ce soit pour rien. Ils connaissaient la valeur de leurs terres escarpées, de
leurs vallées étroites, de leurs sentiers raides où il était impossible de se
presser. Ils ne pouvaient imaginer que ce roi étranger possédait des guerriers
encore plus sauvages et plus primitifs qu’eux, habitués eux aussi à se mouvoir
avec une extrême agilité sur les territoires les plus âpres et les plus
inaccessibles, à supporter le froid et la faim, la douleur et les privations.
Téméraires et féroces, avides et sanguinaires, obéissant aveuglément à la main
qui les nourrissait, tels étaient les Agrianes !
Alexandre réunit les chefs et les
guides susiens afin qu’ils lui précisent le trajet que suivaient
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