Le Roman d'Alexandre le Grand
Ethiopiens, Assyriens et
Babyloniens, Égyptiens, Libyens, Phéniciens et Bactriens, Gédrosiens,
Carmaniens et Dahes : des dizaines et des dizaines de nations marchaient
d’un pas solennel et mesuré vers le dais d’or qui surplombait le trône de
Darius, le Roi, le Grand Roi, le Roi des Rois, lumière des Aryens et seigneur
des quatre coins de la terre.
Le trône se dressait maintenant
devant lui. Il était en cèdre parfumé et en ivoire, orné de pierres précieuses
et soutenu par deux griffons aux yeux de rubis. Il se détachait sur un mur où
l’on pouvait voir une représentation gigantesque du roi Darius I er ,
vêtu de splendides habits de cérémonie, qui luttait contre un monstre ailé,
l’incarnation d’Arhiman, génie du mal des ténèbres. L’immense salle était vide
et silencieuse, mais à l’extérieur, un océan de douleur venait se briser contre
les murs de ce paradis. Les braves, les fidèles soldats de Philippe s’étaient
transformés en une horde de bêtes sauvages, qui se disputaient des lambeaux de
proies, criaient des obscénités, incendiaient les jardins et les palais,
dévastaient les sanctuaires d’Ahura-Mazda, dieu de la grande Persépolis.
Alexandre mit pied à terre, il
avança vers le trône, gravit les marches et s’y assit, posa les mains sur les
accoudoirs de marbre poli. Mais tandis qu’il s’abandonnait contre le dossier
avec un long gémissement, il vit des silhouettes sombres se découper dans
l’embrasure de la porte et entendit un piétinement confus.
« Qui est là ?
demanda-t-il sans bouger.
— C’est nous,
sire ! », dit une voix. C’était l’un des esclaves grecs qui étaient
venus à sa rencontre sur la route de Persépolis.
« Que voulez-vous ? »
Au lieu de répondre, l’homme
s’effaça devant deux de ses compagnons, qui soutenaient un vieillard émacié.
« Il s’appelle Léocharès,
expliqua l’homme qui s’était écarté. C’est l’un des « Dix Mille » de
Xénophon, le dernier survivant, je crois. Il a près de quatre-vingt-dix ans, et
il en a passé soixante-douze en prison et en esclavage. »
Alexandre eut grand-peine à
dissimuler son émotion. « Que veux-tu, vieil homme ?
l’interrogea-t-il. Que puis-je faire pour un héros des Dix Mille ? »
Le vieillard murmura quelques mots
que le roi ne put entendre.
« Il ne veut rien. Il dit que
les Grecs qui se sont éteints n’ont pu profiter du bonheur de te voir sur ce
trône. Il dit qu’il peut maintenant mourir heureux. »
Vaincu par l’émotion et par les
larmes qui coulaient sur ses joues creuses, le vieillard ne parvenait pas à
parler, mais l’expression de son visage était plus éloquente que mille mots.
Alexandre hocha la tête. Incrédule,
ou presque, il regarda le vieil homme s’éloigner en traînant les pieds, soutenu
par ses compagnons. Puis il se leva et retourna auprès de Bucéphale qui
l’attendait sous le porche. En saisissant ses rênes, il aperçut un guerrier
perse qui semblait sortir d’un rêve. Revêtu de l’uniforme de parade des
Immortels et monté sur un cheval saure au harnachement doré, l’homme paraissait
l’observer.
Alexandre referma les doigts sur la
garde de son épée, sans bouger pour autant. C’est alors qu’un éclat aveuglant
illumina le ciel obscur, et qu’un coup de tonnerre assourdissant secoua le
palais.
Soudain, il le reconnut :
c’était le guerrier perse qui, en un jour lointain, l’avait sauvé des griffes
d’un lion, et qu’il avait lui-même épargné sur le champ de bataille d’Issos.
L’Immortel poussa son cheval vers
Alexandre et une fois devant lui, cracha à ses pieds. Puis il fit volte-face et
s’élança au grand galop dans la vaste cour déserte.
23
« Elle fut fondée par le roi Darius I er le Grand, dans
le cœur de la Perside, pour devenir la capitale la plus resplendissante de tous
les temps : cinquante mille hommes issus de trente-cinq nations y
travaillèrent pendant quinze ans. Des forêts entières furent abattues sur le
mont Liban pour construire ses plafonds et ses portes, des pierres et des
marbres furent taillés dans tout l’empire, les lapis-lazuli les plus rares
furent extraits des mines de la Bactriane. On fit venir de l’or à dos de
chameau de la Nubie et de l’Inde, des pierres précieuses du mont Paropamisos et
des déserts de Gédrosie, de l’argent d’Ibérie et du cuivre de Chypre. Des
milliers de sculpteurs syriens, grecs et égyptiens
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