Le Roman d'Alexandre le Grand
ce que cela
soit fait. »
Le secrétaire en informa les Grecs,
mais il avait du mal à se concentrer car le vacarme dû à l’affrontement et les
cris désespérés des habitants à la merci de la soldatesque parvenaient déjà à
ses oreilles.
Les détachements d’infanterie, qui
venaient d’arriver, se précipitèrent à leur tour vers les portes de la ville,
craignant que le butin ne leur échappe. Plusieurs estafettes allèrent au-devant
de l’armée de Parménion, à quelques stades de là, et lui annoncèrent que le roi
avait laissé la capitale à la merci des soldats. La discipline fut aussitôt
oubliée : les hommes abandonnèrent les rangs et coururent en masse vers
Persépolis, où commençaient à s’élever des colonnes de fumée et des langues de
flammes.
Parménion éperonna son cheval, suivi
du Noir et de Néarque. Ils rejoignirent Alexandre, qui, monté sur Bucéphale,
contemplait ce massacre du sommet d’une colline, aussi immobile qu’une statue.
Le vieux général mit pied à terre et
s’approcha. On pouvait lire sur son visage une profonde angoisse :
« Pourquoi sire, dit-il ? Pourquoi ? Pourquoi détruis-tu ce qui
t’appartient déjà ? »
Alexandre ne lui accorda même pas un
regard, mais Parménion vit les ténèbres de la mort et de la destruction
assombrir son œil gauche. Certain de ne pas être entendu, Callisthène murmura :
« N’ajoute rien, général. Je suis persuadé qu’en ce moment précis sa mère
Olympias accomplit des rites sanguinaires en un lieu secret, et qu’elle est en
possession de son âme. Oh, si seulement Aristote était là pour balayer ce
cauchemar ! »
Parménion secoua la tête, il regarda
Le Noir et Néarque avec effroi, puis il monta sur son cheval et s’éloigna.
Le roi ne quitta la colline qu’au
coucher du soleil, comme s’il s’extirpait du sommeil. Il franchit sur Bucéphale
les portes de la ville. L’un des lieux les plus beaux et les plus agréables de
la terre, la plus haute expression de l’harmonie universelle selon l’idéologie
des Achéménides, était aux mains d’une horde de sauvages avinés. Les Agrianes
violaient des jeunes filles et des jeunes garçons en les arrachant aux bras de
leurs parents, les Thraces se promenaient, couverts de sang, en exhibant les
têtes tranchées des guerriers perses qui avaient tenté de leur résister, comme
s’il s’agissait de trophées. Les Macédoniens, les Thessaliens et les auxiliaires
grecs n’étaient pas en reste : ils couraient, comme pris de folie, les
bras chargés de coupes ornées de pierres précieuses, de chandeliers
merveilleux, d’étoffes fines, de cuirasses en or et en argent. Parfois, ils se
heurtaient à des compagnons qui avaient encore les mains vides, et se battaient
avec eux jusqu’au sang, s’égorgeant entre eux sans la moindre retenue, sans la
moindre marque d’humanité. Parfois, voyant dans les bras des autres de
magnifiques jeunes femmes, ils tentaient de les leur soustraire par la force
des armes, avant de violer tour à tour ces pauvres proies sur le sol encore
souillé du sang de leurs parents.
Le roi marchait au pas au milieu de
ces cris et de ces horreurs. Son visage ne laissait transparaître aucune
émotion comme s’il était sculpté dans le marbre froid de Lysippe. Ses oreilles
ne semblaient pas entendre les hurlements poignants des enfants enlevés à leurs
mères, des femmes qui invoquaient le nom de leurs filles et de leurs fils, qui
pleuraient sur les corps de leurs maris, impitoyablement massacrés devant les
portes de leurs maisons. Seul le lent martèlement des sabots de Bucéphale sur
les pavés paraissait l’atteindre.
Les yeux fixés droit devant lui, il
observait l’immense palais royal, la divine apadana entourée de merveilleux
jardins, de hauts cyprès, de peupliers argentés, de platanes rougis par la
lumière languissante du soleil couchant. De sublimes portiques se présentaient
à sa vue avec leurs gigantesques colonnes, leurs taureaux ailés, les portraits
des Grands Rois qui avaient construit et décoré ces merveilles. Lui, le petit
yauna, seigneur d’un royaume de paysans et de bergers, jadis vassal, était
parvenu à percer le cœur du géant et à le piétiner.
Il gravit à cheval le vaste
escalier. Des deux côtés, les processions des rois et des chefs vassaux qui
apportaient des cadeaux pour la fête du jour de l’an, étaient sculptées dans la
pierre. Mèdes et Cissiens, Ioniens, Indiens et
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