Le Roman d'Alexandre le Grand
remède à cela. Voilà
pourquoi les Perses ont détruit les plus belles œuvres de notre civilisation.
Voilà pourquoi nous détruisons en ce moment les plus belles œuvres de la
leur. »
Ils se turent parce qu’ils n’avaient
plus rien à dire, et leur silence se remplit des pleurs et des gémissements de
la ville moribonde.
Trois jours plus tard, la reine mère
apprit la nouvelle de cette dévastation de la bouche d’un Immortel, qui avait
traversé les cols enneigés sans jamais s’arrêter. Elle fondit en larmes en
entendant le récit détaillé de ce carnage, du massacre d’une ville sans
défense, de la destruction d’œuvres merveilleuses.
Le guerrier se prosterna en
sanglotant aux pieds de la souveraine. « Grande Mère, lui dit-il, fais-moi
tuer, car je mérite la mort. Je connais le petit démon yauna, et je suis
coupable de tout. Je lui ai sauvé la vie, il y a de nombreuses années, au cours
d’une chasse au lion en Macédoine. Et quand il m’a rendu la pareille sur le
champ de bataille d’Issos, je n’ai pas compris que c’était une façon pour les démons
de masquer leur nature féroce. Au lieu de lui planter mon poignard dans la
gorge, je l’ai alors remercié, je lui ai montré ma gratitude. En voici
maintenant la conséquence. Fais-moi tuer, Grande Mère, ma mort apaisera
peut-être la colère des dieux, elle les mènera dans notre camp, elle les
persuadera de nous arracher aux ténèbres de l’humiliation et de la
défaite. »
La reine se tenait immobile sur son
trône, les joues sillonnées de larmes. Elle lança au guerrier un regard plein
de compassion et lui dit : « Lève-toi, mon fidèle ami. Lève-toi et ne
blâme pas ta générosité et ton courage. Il était fatal que tout cela arrive.
Que crois-tu que pensèrent les Lydiens quand Cyrus s’empara de Sardes et
l’incendia ? Et les Babyloniens, quand il dévia le cours de l’Euphrate et
prit possession de la capitale en mettant les fers à leur roi ? Nous
avons, nous aussi, incendié et massacré, nous avons réprimé dans le sang de
nombreuses révoltes, nous avons brûlé des temples et des sanctuaires. Le roi
Cambyse tua en Égypte le bœuf Apis en commettant aux yeux de cette nation le
plus atroce des sacrilèges. Le roi Xerxès incendia les temples de l’acropole
d’Athènes et rasa la ville : une population entière abandonna ses maisons
en pleurant pour se réfugier sur une petite île, d’où elle vit les lueurs de
l’incendie s’élever dans le ciel nocturne. Je l’ai entendu dire par ceux qui
conservaient les livres de notre histoire.
« À présent, le destin
s’acharne sur nous, sur nos merveilleuses villes et sur nos sanctuaires. Mais
cela n’est pas dû à la méchanceté d’Alexandre. Je le connais, je connais ses
sentiments et je sais de quelle tendresse et de quels égards il est capable. Si
j’avais été là, j’aurais certainement obtenu sa clémence et fait triompher en
lui la lumière d’Ahura-Mazda contre les ténèbres d’Arhiman. L’as-tu regardé
droit dans les yeux ?
— Oui, ma dame, et j’ai eu
peur. »
La reine mère observa quelques
instants de silence en pleurant, puis elle se ressaisit et interrogea
l’Immortel : « Où vas-tu aller ?
— Au nord, à Ectabane, auprès
du roi Darius. Je combattrai et mourrai pour lui s’il le faut. Mais accorde-moi
ta bénédiction, Grande Mère : elle me réchauffera dans la neige et le
froid, elle m’aidera à supporter la faim, la soif, les privations et la
souffrance. »
Il s’agenouilla en baissant la tête.
La reine mère leva sa main tremblante et la posa sur le crâne du guerrier.
« Je te bénis, mon garçon. Dis à mon malheureux fils que je prierai pour
lui.
— Je n’y manquerai pas »,
répondit l’Immortel. Après lui en avoir demandé l’autorisation, il prit congé.
24
Alexandre attendit le lendemain pour visiter le palais de Darius. Il
s’était levé tard et il observait les alentours d’un regard étrange, comme s’il
sortait tout juste d’un cauchemar. Ses compagnons, armés, s’étaient déjà placés
en bon ordre autour du trône, dans l’attente de ses instructions.
« Où est Parménion ?
demanda-t-il.
— Hors de la ville, dans son
campement, avec ceux de ses hommes qui n’ont pas participé au pillage, répondit
Séleucos.
— Et le Noir ?
— Lui aussi. Il te fait dire
qu’il ne se sent pas bien, et te prie de l’excuser de son absence.
— Ils
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