Le Roman d'Alexandre le Grand
l’ouest en direction de la route du Roi afin de parer
à d’éventuelles surprises de ce côté. Avec stupeur, les éclaireurs virent
avancer une longue colonne, précédée par des étendards rouges frappés de
l’étoile argéade : l’armée de Parménion !
Ils la rejoignirent au galop et se
présentèrent aussitôt : « Je suis Euthydème, commandant de la
huitième compagnie du troisième escadron des hétairoï, annonça leur commandant
à l’officier qui conduisait la colonne en marche. Mène-moi auprès du général
Parménion.
— Le général Parménion est au
fond, avec l’arrière-garde car la cavalerie mède nous a harcelés sur le haut
plateau. Je vais appeler le général Cleitos. »
Le Noir arriva à toute allure
quelques instants plus tard : son visage avait bronzé sous le soleil du
haut plateau et il ressemblait désormais à un Éthiopien. « Qu’y a-t-il,
chef de compagnie ? lui demanda-t-il. Où se trouve l’armée ?
— À moins de vingt stades
d’ici, général. Nous sommes parvenus à forcer les Portes persiques. Le roi et
les hommes se reposent car nous n’avons pas fermé l’œil depuis deux
nuits ; mais dès que le soleil se lèvera, nous serons prêts à partir pour
Persépolis. Vous pouvez garder votre allure ; quant à nous, nous
poursuivrons notre route le plus rapidement possible. Je crois que le roi vous
exposera la situation en temps voulu.
— D’accord, dit le Noir. Salue
le roi pour moi et dis-lui que nous avons rencontré de grosses difficultés.
J’informerai le général Parménion de notre entrevue. Son fils Philotas se
porte-t-il bien ?
— Il se porte très bien. Il est
sorti sain et sauf de la bataille sur le passage. »
Sur ces mots, il retourna auprès de
ses hommes. Le contingent était déjà prêt, et Alexandre, monté sur Bucéphale,
s’apprêtait à donner le signal de départ. Le soleil levant teintait de rose les
monts Élam, dont les cimes se détachaient sur les bois vert foncé et sur les
champs de chaume qui s’étendaient à perte de vue sur le haut plateau.
Des troupeaux de chameaux passaient
le long des routes avec leur chargement, des ânes conduisaient des paysans au
marché en tirant des charrettes remplies de modestes marchandises, des femmes
aux vêtements colorés allaient puiser de l’eau au ruisseau, tandis que d’autres
en revenaient, la tête surmontée de pots ruisselants posés sur des bourrelets.
C’était, semblait-il, un jour comme les autres, et pourtant le plus grand et le
plus puissant empire du monde serait bientôt touché au cœur.
La trompe retentit et les escadrons
partirent au trot le long de la piste en soulevant un rideau de poussière
épais. Tandis qu’ils avançaient, les lieux changeaient profondément
d’aspect : non seulement dans les caractéristiques du territoire – de plus
en plus beau et de plus en plus verdoyant, avec ses vastes parcs plantés
d’arbres, ses potagers et ses jardins –, mais aussi dans le comportement de ses
gens. Au passage de l’armée, les portes se fermaient, les rues se vidaient,
tout comme les places des marchés : l’arrivée du Conquérant yauna, sur le
compte duquel circulaient déjà des légendes terrifiantes, avait dû être
annoncée.
Soudain, vers la mi-journée, un
spectacle étrange et inquiétant s’offrit aux yeux du roi, qui chevauchait à la
tête de l’armée, flanqué d’Héphestion et de Ptolémée : un groupe d’hommes
venait vers lui sur cette route, une étrange foule de misérables à l’allure
claudicante, couverts de chiffons, qui agitaient leurs mains ou leurs moignons,
comme pour se faire remarquer.
« Mais qui sont ces
hommes ? », demanda le roi à Eumène, qui se tenait à quelques pas de
lui. Le secrétaire avança et examina le groupe. « Je n’en ai pas la
moindre idée, mais nous allons bientôt le savoir. »
Il mit pied à terre et se dirigea
vers ces malheureux, qui paraissaient beaucoup plus nombreux qu’on ne l’aurait
cru de prime abord. Alexandre l’imita. Au fur et à mesure qu’il avançait, il
fut envahi par un trouble étrange, par une inquiétude angoissante. Il entendit
bientôt ces hommes s’adresser à Eumène… en grec !
Puis il vit qu’ils étaient
horriblement mutilés : certains avaient les deux mains tranchées, d’autres
une jambe voire les deux, d’autres encore avaient la peau marquée par de
terribles cicatrices, au vu desquelles on devinait qu’ils avaient
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