Le Roman d'Alexandre le Grand
à la garde du
trésor royal. Général, tu es le seul en qui je puis avoir confiance. Je
chargerai Harpale de l’administration. C’est un brave garçon et Eumène nourrit
de l’estime pour lui. Alors, quelle est ta réponse ?
— J’ai compris : je suis
trop vieux et tu ne veux plus de moi sur le champ de bataille. Tu me mets au
repos et…
— Oui, tu es vieux,
général », répliqua Alexandre avec un étrange sourire. Puis il ajouta en
criant presque : « Puisque tu as soixante-dix ans
aujourd’hui ! »
À ces mots, un chœur bruyant de voix
masculines entonna derrière le rideau le chant suivant :
Le vieux soldat qui part en guerre
tombe par terre, tombe par terre !
Aussitôt les compagnons d’Alexandre
firent irruption dans la pièce, suivis de Philotas, d’Eumène et de son
assistant Harpale. Ils portaient sur leurs épaules un veau rôti, un énorme
cratère rempli de vin, des perdrix, des poulets et des oies à la broche, ainsi
qu’une quantité de mets en tous genres.
Nicanor, le fils cadet de Parménion,
avait été lui aussi invité, en cette occasion.
Léonnatos jeta sur le sol les
légumes et le lait caillé en hurlant : « Enlevez-moi ces
saloperies ! On va manger, et comment ! »
Ému par cette attention, Parménion
s’essuya les yeux en cachette. Alexandre s’approcha de lui et, avec un sourire,
lui tendit un rouleau de papyrus scellé : « Voici mon cadeau
d’anniversaire, général », dit-il.
Parménion l’ouvrit et le lut sans
difficulté, car il avait été tout spécialement rédigé en majuscules : le
roi lui offrait un magnifique palais à Suse, un autre à Babylone et un
troisième à Ectabane ; il lui attribuait de vastes domaines en Macédoine,
en Lyncestide et en Éordée, ainsi qu’une rente de cent cinquante talents. Sur
la seconde page s’étalait la nomination de son fils Philotas au rang de
commandant de toute la cavalerie. Suivaient le sceau royal et le
contreseing : « Eumène de Cardie, secrétaire général. »
« Sire, je… », commença
Parménion d’une voix tremblante, mais le roi l’arrêta. « Ne dis pas un mot
de plus, général, tu mérites beaucoup plus, et nous te souhaitons tous de
pouvoir profiter de ces biens jusqu’à l’âge de cent ans, et plus. Pour le
reste, il n’y a pas de charge plus importante que celle que je t’offre, à l’est
des Détroits, et tu es le seul homme à qui je puis me fier aveuglément. »
Parménion tendit à Philotas la
feuille de sa nomination au grade de commandant de la cavalerie en
disant : « Tu as vu, mon garçon, tu as vu ? Allez, montre-la à
ton frère. »
Le roi l’embrassa sous les
applaudissements de ses compagnons, et la fête se prolongea tard dans la nuit.
Ils regagnèrent leurs habitations à l’heure de la seconde ronde. Ils étaient
tous ivres, y compris Parménion.
27
Alexandre aurait aimé repartir sans tarder à la poursuite de Darius,
mais il avait bon nombre de devoirs à remplir et surtout des lettres à
rédiger : à sa mère, qui continuait de se plaindre du traitement
qu’Antipatros lui réservait ; à Antipatros, qui avait gagné la guerre contre
Sparte et qui accablait Olympias de critiques ; aux satrapes et aux
gouverneurs.
« Comment comptes-tu régler le
problème des rapports du régent avec ta mère ? lui demanda Eumène en
scellant la lettre. Tu ne peux pas éternellement faire semblant de rien.
— Non, je ne le puis. Mais
Antipatros doit comprendre qu’une larme de ma mère vaut plus que mille de ses
lettres.
— C’est injuste, répliqua le
secrétaire. Le régent a de lourdes responsabilités et il a besoin de
tranquillité.
— Il possède aussi tout le pouvoir,
alors que ma mère est, en fin de compte, la reine de Macédoine. Il faut
également la comprendre. »
Eumène secoua la tête en réalisant
que cette conversation était inutile. Ne voyant pas sa mère depuis quatre ans,
le souverain ne se rappelait que ses côtés positifs. Il éprouvait également une
grande nostalgie à l’égard de sa sœur Cléopâtre, à qui il ne cessait d’écrire
des missives fort tendres.
Quand il eut terminé sa
correspondance, Alexandre dit : « J’ai décidé de licencier nos alliés
grecs.
— Pourquoi ? l’interrogea
Eumène.
— Nous tenons fermement les
rênes de la ligue panhellénique et nous avons assez d’argent pour enrôler les
soldats dont nous avons besoin. En outre, de retour chez eux, les
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