Le Roman d'Alexandre le Grand
« Présentez
armes ! », nombre de ces hommes, pourtant rompus à tous les dangers
et à tous les excès, eurent es larmes aux yeux.
Dès qu’ils eurent disparu derrière
le premier tournant et que le son des tambours scandant leur marche se fut
éteint, Alexandre ordonna aux trompettes de sonner encore une fois, et l’armée
s’ébranla en effectuant une large conversion.
Xathrès, qui connaissait des
raccourcis, proposa au souverain ses services pour effectuer une reconnaissance
avec deux de ses mercenaires scythes. Les trois hommes disparurent au galop.
L’armée marchait sur le haut plateau, où l’on apercevait de petites antilopes
et des chèvres sauvages, et où le rugissement du lion déchirait parfois la
nuit. Le rythme de la marche était à la limite du soutenable. Nombre de soldats
durent s’arrêter à cause des plaies qui entamaient leurs pieds, et plus d’une
bête de somme s’écroula sous le poids de son bât, épuisée par tant d’efforts. Mais
Alexandre ne voulait entendre raison, il ne cessait de presser ses hommes, ne
dormant que quelques heures, la nuit, sans prendre la peine de faire monter les
tentes.
Il rappelait aux vétérans qu’ils
avaient un jour rallié Thèbes à partir des rives de l’Istros en treize jours de
marche seulement. Il dormait à leurs côtés, sous son manteau militaire.
Parfois, des caravansérails, disséminés le long de la route qui menait aux
provinces orientales, leur offraient un abri, mais leur capacité étant limitée,
on n’y logeait que les malades ou ceux que les efforts avaient épuisés.
L’air était de plus en plus mordant,
en particulier le soir, et Eumène avait repris l’habitude de porter un
pantalon. Pendant six jours, ils longèrent vers l’est une chaîne de montagnes imposante,
surmontée d’un sommet enneigé d’une très haute altitude. Puis ils parvinrent à
un défilé qu’on appelait les Portes caspiennes. Cette gorge, au fond de
laquelle coulait un torrent, était encadrée par des parois très escarpées.
« Si les Perses nous
surprennent ici, ils nous tailleront en pièces », dit le Noir. Il semblait
impossible que le roi Darius ne profite pas d’un tel avantage. Alexandre
observa ces parois entre lesquelles un aigle tournoyait lentement.
« Penses-tu qu’il y ait quelqu’un, là-haut ?
— Il n’y a qu’un moyen de le
savoir.
— Les Agrianes.
— Je les envoie immédiatement
en reconnaissance. »
Immobiles au fond de la gorge, les
soldats observèrent bientôt les acrobaties des attaquants agrianes, qui se
hissaient sur les arêtes rocheuses, creusaient des passages étroits à l’aide de
leurs pics, pour continuer leur ascension avec une ardeur infatigable. Au
moment où il atteignait le sommet, l’un d’eux glissa et chuta dans le vide,
s’écrasant un peu plus bas sur les rochers. Cet accident n’arrêta pas les
grimpeurs. Un autre groupe quitta toutefois le fond de la vallée pour récupérer
le corps de leur camarade, encastré entre deux rochers. Ils le ramassèrent et
le redescendirent en dépit du danger, puis ils l’installèrent sur une civière
et le recouvrirent d’un manteau.
Entre-temps, une vingtaine d’hommes
étaient arrivés au sommet. D’un son de cor, ils avertirent l’armée qu’elle
pouvait avancer. Elle s’ébranla donc sans rencontrer de résistance. À l’étape
suivante, les Agrianes célébrèrent les funérailles de leur compagnon. Ils le
placèrent sur un bûcher constitué de branches de pin, auquel ils mirent le feu
en entonnant un chant lugubre. Puis, après avoir enterré une urne contenant ses
cendres, ses armes et la boucle de son manteau, ils se soûlèrent et chahutèrent
toute la nuit.
28
Avant que ne se termine la quatrième ronde, Alexandre, qui somnolait,
entendit Péritas grogner.
« Qu’y a-t-il, que
sens-tu ? Sage, sage… Ce doit être un loup, ou un lynx. » Il leva les
yeux vers le ciel, et vit les feux que les Agrianes alimentaient sur les flancs
de la gorge pour signaler que le passage était libre. Puis il entendit un bruit
de pas et un échange de mots confus.
« Qu’y a-t-il ? »,
répéta-t-il plus fort.
Héphestion se présenta.
« Oxathrès est de retour avec ses soldats scythes. Il désire te parler.
— Oxathrès ? Laisse-le
passer. »
Trois cavaliers couverts de
poussière avançaient au fond du couloir, un arc en bandoulière. Oxathrès mit
pied à terre et marcha vers Alexandre en titubant de
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