Le Roman d'Alexandre le Grand
forte pour quiconque, même pour mon gouverneur macédonien.
L’atmosphère qu’on y respirait, la splendeur de ses salles, ces scènes
sculptées qui ne cessaient de rappeler la grandeur de la dynastie achéménide,
ce trône… vide ! l’or qui était amassé sous ces voûtes aurait fait de
n’importe quel homme le plus riche de la terre. Des dizaines de nobles perses
auraient essayé de s’en emparer, ils auraient tenté de s’asseoir sur ce trône
et de brandir ce sceptre, déchaînant ainsi de nouvelles et interminables
guerres. Voilà donc ce que j’aurais dû permettre ?
« Je n’avais pas le choix,
général, je n’avais pas le choix, le comprends-tu ? Pour empêcher le
retour de la cigogne, il fallait brûler son nid.
« C’est vrai, j’ai détruit une
merveille, mais rien ne m’empêchera de rebâtir un édifice encore plus grand et
plus admirable quand le moment viendra. Par ce geste, j’ai détruit aussi le
symbole de la Perse et de ses rois, j’ai montré aux Grecs et aux barbares du
monde entier qui est leur nouveau maître, j’ai montré que le passé était mort,
qu’une nouvelle ère allait renaître sur ses cendres. Ce palais était beau,
général, trop beau. Voilà pourquoi il était dangereux de le laisser
debout. »
Parménion baissa la tête. L’orgie,
les danses, les invocations du dieu Dionysos, l’exaltation sacrée dont avaient
parlé un peu plus tôt Eumène et Callisthène… tout était prévu, tout était
construit : une représentation théâtrale des plus réalistes, certes, mais
une représentation quand même ! C’était un des nombreux talents
d’Alexandre, un acteur plus doué et plus expérimenté encore que Thessalos, son
interprète favori. En outre, les raisons qui l’avaient conduit à ce geste
étaient irréprochables du point de vue politique, militaire et idéologique.
Désormais, ce garçon pensait et agissait comme s’il était le seigneur du
monde !
Le roi prit un rouleau de papyrus
dans sa bibliothèque et le tendit au général : « Il est arrivé cette
nuit. Lis-le. Antipatros m’annonce qu’il a gagné la guerre contre les
Spartiates. Le roi Agis est tombé en combattant à Mégalopolis, et plus personne
en Grèce n’est en mesure de s’opposer à ma charge de chef suprême de la ligue
panhellénique. Quant à moi, j’ai fait ce que je devais : j’ai tenu ma
promesse d’abattre l’ennemi séculaire des Grecs. C’est aussi ce que signifie la
destruction du palais. À présent, je n’ai qu’une seule idée en tête :
accomplir mon destin. »
Parménion parcourut avec difficulté
la lettre d’Antipatros ; sa vue avait beaucoup baissé. Il comprit ce que
voulait dire son roi.
Alors Alexandre posa la main sur son
épaule et le regarda, avec un mélange de rude affection et de sévérité
militaire : « Prépare-toi, général, lui ordonna-t-il. Rassemble
l’armée, restaure la discipline la plus implacable dans ses rangs. Nous allons
partir. »
26
L’armée s’ébranla à la fin du printemps et se dirigea vers le nord,
montant vers le centre du haut plateau, le désert à main droite et les monts
enneigés de l’Élam à main gauche. Elle parcourut vingt parasanges en quatre
étapes et, à la tombée du soir, atteignit Pasargades, la capitale ancestrale de
Cyrus le Grand, le fondateur de la dynastie achéménide. C’était une petite
ville de bergers et de paysans, qui renfermait en son sein le premier
pairidaeza qu’on eût jamais réalisé : un merveilleux parc, qui s’étendait
autour du vieux palais de Cyrus. Un système d’irrigation très compliqué, qui
puisait de l’eau à une source située au pied des collines, arrosait la pelouse
verdoyante, les buissons de roses, les cyprès et les tamaris, les genêts
parfumés, les bouillons-blancs et les genévriers. À côté, vers l’ouest, se dressait
la tombe du fondateur, majestueuse et solitaire.
Sa forme, dépouillée et simple,
évoquait la tente quadrangulaire à deux versants des nomades de la steppe d’où
les Perses étaient venus quatre siècles plus tôt. Ils avaient été les vassaux
des Mèdes et de leur roi Astyage avant de conquérir ces immenses territoires.
Mais cette construction était placée sur un grand socle de pierre composé de
sept marches, comme les tours mésopotamiennes, et entouré d’une colonnade qui
délimitait un jardin aux arbres de bouillon-blanc bien soignés.
La tombe était encore surveillée par
un
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