Le Roman d'Alexandre le Grand
Grecs
raconteront ce qu’ils ont fait et vu, ce qui aura sur les gens une influence
considérable, bien supérieure à celle de l’histoire que Callisthène est en
train de rédiger.
— Mais ce sont de formidables
guerriers, et…
— Ils sont fatigués, Eumène, et
la marche qui nous attend est encore longue. Ils pourraient ressentir de la
nostalgie pour leur patrie et prendre des décisions inconsidérées au moment le
plus inopportun. Je préfère prévenir plutôt que guérir. Rassemble-les demain à
l’extérieur du campement. »
Les Grecs avaient deviné qu’un
événement important les attendait : le jour n’avait pas encore point et on
leur avait ordonné de préparer bagages et chariots, d’arborer une armure
parfaitement astiquée.
Alexandre se présenta, monté sur
Bucéphale, armé de la tête aux pieds et flanqué de sa garde. Il attendit que
les premiers rayons du soleil parsèment d’éclats les armes des hoplites pour
commencer son discours :
« Alliés ! Votre
contribution à notre victoire a été importante, voire déterminante dans
certaines occasions : nous n’oublions pas que l’infanterie grecque a
résisté sur l’aile droite aux assauts incessants de Bessos et de ses cavaliers
mèdes, lors de la bataille de Gaugamèle. Vous avez été braves, courageux,
fidèles à votre serment de servir la ligue panhellénique et son chef suprême.
Vous avez accompli ce qu’aucun Grec, pas même les combattants de la guerre de
Troie, n’était parvenu à faire : conquérir Babylone, Persépolis, Ectabane.
« Le moment est venu pour vous
de jouir des fruits de vos efforts : je vous libère de votre serment et
vous licencie. Chaque officier recevra un talent, chaque soldat trente mines
d’argent, ainsi que la somme nécessaire à couvrir ses dépenses jusqu’en Grèce.
Je vous remercie, retournez auprès de vos familles, de vos enfants, de vos
concitoyens ! »
Alexandre s’attendait à une
explosion de joie et d’applaudissements, mais il n’entendit qu’un bruissement,
qui se transforma bientôt en une discussion animée.
« Que se passe-t-il,
hommes ? s’écria-t-il alors sur un ton interdit. Je ne vous rétribue pas
assez ? Vous n’êtes pas contents de rentrer ? »
Un officier d’une quarantaine
d’années, un certain Héliodore d’Éghion, s’avança et dit : « Nous te
remercions et nous sommes heureux de savoir que notre aide t’a été précieuse.
Mais nous sommes tristes de te quitter. » Alexandre le dévisagea avec
incrédulité. « En combattant à tes côtés, nous avons appris des choses que
personne n’aurait pu nous enseigner, nous avons mené des entreprises que tout
soldat rêverait de mener. Nous sommes nombreux à nous demander ce que tu feras,
quelles seront tes prochaines conquêtes, quels lieux s’ouvriront à ceux qui
serviront sous ton étendard. Bien sûr certains accepteront ton invitation et
regagneront leur patrie avec joie, mais aussi avec tristesse, car ils ont
appris à t’admirer et à t’aimer.
« D’autres, en revanche, n’ont
pas de famille, ou considèrent qu’il est plus important de te suivre là où tu
voudras les conduire et de combattre dignement en risquant leur vie si
nécessaire. Ces hommes préféreraient rester auprès de toi. »
Son discours terminé, l’homme
réintégra les rangs.
« Il existe peu d’hommes de
votre trempe, répondit Alexandre, et je serai honoré de garder ceux qui
décideront de rester. Désormais, ceux-ci ne seront plus considérés comme des
envoyés de leur ville, mais comme des soldats de métier. Je leur donnerai, pour
toute la durée de la campagne, une somme de six cents drachmes, qui sera versée
à leur famille en cas de décès. Que ceux qui souhaitent demeurer parmi nous
fassent trois pas en avant. Les autres sont libres de partir dès qu’ils le
voudront, en emportant ma gratitude, mon amitié et mon affection. »
Les hommes martelèrent leurs
boucliers de leurs lances en criant le nom du roi, comme s’ils étaient des
soldats macédoniens. Ceux qui avaient choisi de demeurer auprès du roi
s’avancèrent. Ainsi que le constata Alexandre, ils représentaient la moitié de
leur contingent.
Le jour même, les soldats grecs qui
rentraient chez eux se mirent en marche entre deux ailes de l’infanterie et de
la cavalerie rangées pour le dernier salut, tandis que les trompettes sonnaient
le signal du congé. Et quand Parménion en personne ordonna
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