Le Roman d'Alexandre le Grand
illuminant la vaste
plaine et en faisant scintiller les eaux du fleuve, et les constellations
apparaissaient dans le ciel limpide. Mis à part l’est, où l’on apercevait des
éclairs, le monde était plongé dans la tranquillité du soir. Les guerriers
asiatiques s’étaient rassemblés en cercle, certains avaient même réussi à
allumer du feu.
« Comment font-ils ?
demanda Héphestion, qui frissonnait de froid. Je n’ai pas vu un seul buisson
dans un rayon de cent stades.
— Des crottes, répondit
Oxathrès avec un air de profond mépris.
— Des crottes ? répéta
Séleucos en levant les sourcils.
— Des crottes de mouton, de
cheval, de chèvre. Ils en remplissent un sac et les brûlent, une fois séchées.
— Ah !
— C’est un sacrilège, pour
nous : profanation du feu. En Perse, cette pratique entraîne une
condamnation à mort, mais ce sont des… », et il prononça un mot qui
signifiait « barbares » dans sa langue natale.
« Malgré tout, ce dîner est
agréable, n’est-ce pas ? dit Alexandre pour changer de sujet de
conversation.
— Quand on a faim…, approuva
Héphestion.
— Et ces lieux…, reprit
Alexandre. Je n’avais jamais rien vu de pareil. Il n’y a pas une seule maison à
portée de vue. » Il se tourna vers Oxathrès. « À ton avis, Alexandrie
Eschate vivra-t-elle ?
— Elle vivra, répondit le
guerrier perse. Quand les soldats partent, les marchands arrivent et les villes
se remplissent de gens, de troupeaux, de vie. Elle vivra. »
Ils dormirent toute la nuit,
protégés par un double cordon de sentinelles à cheval qui pouvaient facilement
surveiller la plaine que la lune éclairait. À l’aube, ils reprirent leur poursuite.
Au bout de trois jours, ils découvrirent sur le sol des empreintes de roues et
parvinrent rapidement en vue d’un village semi-ambulant. Il était composé d’un
triple cercle de chariots aux toits en peaux tannées et appartenait au chef
scythe qui s’était enfui au cours de la bataille.
Oxathrès le reconnut aux insignes
qui étaient hissés sur le chariot de tête : une hampe en bois avec deux
bouquetins de bronze qui s’affrontaient, cornes contre cornes. « C’est un
roi, dit-il. Celui qui a une bande rouge autour du front, peut-être… Il n’a
plus d’issue. Il doit penser : « Comment m’a-t-il rejoint au cœur de
ma plaine, comment a-t-il trouvé le chemin sur cette terre
uniforme ? »
Au signe d’Alexandre, ses compagnons
déployèrent leurs détachements respectifs autour de la petite ville sur roues.
Droits sur leurs montures, leurs longues lances au poing, l’allure des
cavaliers semblait surhumaine dans ces lieux solitaires. La musculature
brillante de leurs destriers, les pointes aiguisées de leurs armes, la splendeur
de leurs armures et de leurs casques aux cimiers agités par la brise de
l’aurore exprimaient un sentiment de puissance irrésistible.
Soudain, un son de cor déchira le
silence irréel de ce petit matin, avant de s’éteindre aussitôt dans l’immensité
de la plaine. Le roi scythe sortit, monté sur un superbe étalon pommelé, bien
différent des petits chevaux bourrus de ses hommes – était-ce un présent d’un
roi voisin, ou le fruit d’une razzia ? Il portait encore sa tenue de
combat, son diadème écarlate, son pectoral et sa cuirasse à écailles. Il était
suivi de son épouse, qui marchait à pied, coiffée d’un couvre-chef très haut en
lames d’or à bandes parallèles, vêtue d’un long voile rouge, d’une tunique
cramoisie dont les bords étaient ornés de plaquettes en lames d’or, et d’une
jupe qui recouvrait ses chaussons de laine brodés. Elle tenait par la main une
fillette d’environ douze ans – sa fille, à en juger par leur ressemblance.
Le chef observa les alentours, comme
s’il passait en revue la formation de guerriers cuirassés qui avait surgi du
néant, puis, d’un pas sûr, il s’approcha d’Alexandre et s’adressa à lui.
Oxathrès avait demandé à l’un de ses mercenaires scythes de traduire son
discours en perse. Il le traduisait lui-même en grec à l’intention d’Alexandre :
« Personne, de mémoire d’homme,
n’avait jamais osé s’enfoncer dans les terres des Scythes. Personne n’avait
réussi à les battre et à les surprendre au cœur de leur territoire. J’ai
entendu dire que tu avais vaincu le roi des Parshas et que tu lui avais enlevé
son royaume. De deux choses l’une : ou tu es un dieu,
Weitere Kostenlose Bücher