Le Roman d'Alexandre le Grand
ou un dieu est avec
toi. En me battant contre toi, j’ai perdu mes meilleurs guerriers et j’ai sauvé
ma vie à grand peine. Je suis venu t’offrir la paix et, en gage de ce pacte, je
te donne la main de ma fille. »
À ces mots, la reine poussa la
fillette vers Alexandre. Celui-ci vit que ses longs cils noirs étaient humides
et ses yeux remplis de larmes.
Il mit pied à terre et lança un
regard ému à l’enfant, qui lui rappelait sa sœur Cléopâtre au même âge, et un
peu plus tard, à l’époque où il était parti pour Miéza afin de suivre
l’enseignement d’Aristote… Combien de temps s’était écoulé depuis lors ?
« Je ne veux pas emmener ta
fille : elle a encore besoin de l’amour et des soins de sa mère, répondit-il.
Un serment devant le ciel, qui surplombe les têtes des hommes, et devant la
terre, qui nous accueillera un jour dans son sein, suffit à sceller un pacte
entre deux rois. Ainsi qu’une poignée de main. »
Il attendit que l’interprète eût
traduit ses paroles, et il tendit la main au roi scythe, qui la lui serra en
levant l’autre d’abord vers le ciel, puis en tournant la paume vers la terre.
« Je me nomme Dravas, dit-il en
plantant ses yeux dans ceux du jeune étranger aux cheveux dorés. Et toi ?
— Alexandre, et je peux revenir
à n’importe quel moment, de n’importe quel endroit. »
Il prononça ces mots sur un tel ton
et avec un tel regard que le roi scythe ne douta pas un instant de leur
véracité.
46
Le lendemain matin, ils se remirent en marche vers l’ouest dans le but
de rallier le fleuve Iaxartes, mais ils parvinrent dans une région désertique
tellement brûlée par le soleil que les hommes se jetèrent aussitôt sur leurs
réserves d’eau. Les soldats de la cavalerie légère, qui avaient accompli les
efforts les plus durs en effectuant des missions de reconnaissance et des
rondes, furent les premiers à les épuiser, aussi Alexandre donna-t-il l’ordre
de leur attribuer ses provisions personnelles. Au bout d’une journée de marche
dans de telles conditions, leur soif devint insupportable. Le roi se désaltéra
à une mare, au fond d’une dépression, et il fut bientôt pris de terribles
douleurs à l’abdomen, puis d’une grosse fièvre et d’une violente dysenterie.
Héphestion lui fit fabriquer une
civière, sur laquelle il le transporta pendant les deux jours suivants, en
proie au délire, dévoré par la soif, souillé par ses excréments, que l’absence
d’eau ne permettait pas de nettoyer, tourmenté par un nuage de mouches.
« Si nous ne trouvons pas le
gué au plus vite, il risque de mourir, dit Oxathrès. Je pars en éclaireur.
Suivez mes traces. Si vous capturez du gibier, mangez-en la chair crue. Mais
que personne ne boive l’eau que refusent les mercenaires scythes. »
Il disparut vers l’ouest avec un
groupe de cavaliers sogdiens particulièrement résistants à la chaleur et à la
soif, tandis que la colonne poursuivait sa route au pas sous un soleil
implacable. Il ne revint qu’au cœur de la nuit, et s’enquit aussitôt de la
santé du roi. « Comment va-t-il ? »
Héphestion secoua la tête sans
répondre. Alexandre gisait sur le sol dans la puanteur de ses excréments, les
lèvres gercées et brûlées, il respirait avec difficulté.
« J’ai trouvé le gué, dit le
Perse. Et j’ai apporté de l’eau pour boire, mais pas pour se laver. »
Alexandre but, et avec lui ceux qui
risquaient de mourir de soif, puis tout le monde se remit en marche dans la
nuit pour atteindre l’Iaxartes aux premières lueurs de l’aube. On plongea le
roi dans l’eau froide, et on l’y laissa jusqu’à ce que sa température commence
à baisser. Il reprit lentement conscience et demanda : « Où
suis-je ?
— Sur le gué, expliqua
Oxathrès. Il y a du poisson frais et du bois pour le cuire.
— Ton grec s’améliore »,
dit Alexandre en rassemblant ses forces.
Ils rejoignirent le reste de l’armée
aux environs de Maracanda, où les attendait une amère surprise. Les commandants
des pézétairoï avaient attaqué de façon inconsidérée les troupes de Spitaménès
sur le fleuve Polytimétos et avaient subi une défaite cuisante. Mille soldats,
ou presque, avaient perdu la vie, et plusieurs centaines avaient été blessés.
Les bûchers funéraires brûlèrent des journées entières sous un ciel sombre et
brumeux.
Leptine fondit en larmes quand le
roi lui apparut dans un état si
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