Le Roman d'Alexandre le Grand
que Zeuxis et Parrhasios avaient
peintes sur le « Portique peint » d’Athènes.
Hormis son visage d’un beau teint
olivâtre, elle était entièrement couverte. Elle portait un pantalon de laine
bleue aux broderies rouges, ainsi qu’une tunique en cuir serrée à la taille qui
s’évasait sous les genoux. Une épée et une gourde remplie d’eau étaient
accrochées à sa ceinture, et elle avait en bandoulière un arc et des flèches, les
armes typiques des Amazones dans l’imaginerie populaire, mais pas de bouclier
en demi-lune.
Elle plongea ses grands yeux sombres
dans ceux d’Alexandre et prononça des mots que personne ne saisit.
Alexandre se tourna vers
Oxathrès : « Tu as compris ? » Le Perse secoua la tête
négativement.
« Et tes Scythes ? »
Oxathrès échangea quelques mots avec
eux, mais, pas plus que lui, ils n’avaient saisi ces paroles.
« Je ne te comprends
pas », dit Alexandre en souriant. Maintenant qu’il faisait face à lune des
créatures mythologiques qui avaient peuplé ses rêves d’enfant, il regrettait de
ne pouvoir communiquer avec elle.
La jeune fille dit encore quelques
phrases en rendant son sourire au roi et en s’aidant de gestes, mais elle
n’obtint aucun résultat.
Soudain, une voix s’éleva dans le
dos d’Alexandre : « Moi, je la comprends. » Le roi se retourna
brusquement, car il s’agissait d’une voix féminine.
« Leptine ! »
Leptine avança et, à la stupeur
générale, s’entretint avec la jeune guerrière.
« Comment est-ce possible ? »,
s’écria Callisthène, surpris par un événement aussi prodigieux. Mais Alexandre
se souvint d’une nuit d’hiver qu’il avait passée avec elle dans le vieux palais
de ses ancêtres, à Aigai : elle avait alors prononcé des mots étranges dans
son sommeil. Il se souvint aussi du tatouage qu’elle portait à l’épaule,
identique à l’image qu’il voyait maintenant gravée sur une plaquette d’or au
cou de l’Amazone : un cerf couché aux bois imposants.
« Ce genre de choses arrive
parfois, intervint Philippe le médecin. Xénophon relate un épisode de ce
genre : en Arménie, un esclave comprit soudain la langue des Chalybes, un
peuple dont il ignorait tout. »
Leptine ne cessait de parler.
L’hésitation du début s’était désormais transformée en assurance, même si les
mots semblaient s’échapper laborieusement de son esprit, comme s’ils
surgissaient des abîmes de sa mémoire. Alexandre s’approcha et découvrit son
tatouage, qu’il montra à la jeune guerrière. « Le
reconnais-tu ? », l’interrogea-t-il. Il devina aussitôt, à sa réaction,
que non seulement elle l’avait reconnu, mais qu’il possédait pour elle une
grande valeur.
Les deux femmes discutèrent encore
dans leur langue mystérieuse, puis l’Amazone serra les mains de Leptine, lança
un regard au souverain étranger et regagna sa tente.
« Que t’a-t-elle dit ?
demanda Alexandre à Leptine après le départ de la jeune fille. Tu appartiens à
leur peuple, n’est-ce pas ?
— Oui, répondit Leptine, je
suis une des leurs. J’ai été enlevée à l’âge de neuf ans par une bande de
guerriers cimmériens, et sans doute vendue à un marchand d’esclaves dans un
bazar du Port. Ma mère était la reine d’une de ces tribus féminines, et mon
père un noble scythe, qui vivait le long du Tanaïs.
— Une princesse, murmura
Alexandre en pressant les mains de Leptine. Voilà qui tu es.
— Qui j’étais, le
corrigea-t-elle. Le temps a passé, irrémédiablement.
— Ce n’est pas vrai. Tu peux
maintenant retourner avec ton peuple, reprendre la place qui t’appartient. Tu
es libre, et je te donnerai une riche dot : de l’or, du bétail, des
chevaux.
— Ma place est près de toi, mon
seigneur. Je n’ai personne d’autre au monde, et ces femmes sont des étrangères
pour moi. Je ne les rejoindrai que si tu me repousses, si tu me contrains à
partir.
— Je ne t’obligerai pas à faire
une chose que tu refuses, et je te garderai à mes côtés tant que je vivrai, si
tu le désires. Mais dis-moi pourquoi cette jeune fille est venue jusqu’à
nous ? Pourquoi a-t-elle planté sa tente à cet endroit ? »
Leptine baissa les yeux comme si la
honte, ou la pudeur, l’empêchait de répondre à ces questions, mais elle finit
par expliquer : « Elle a dit qu’elle était la reine des guerrières
qui vivent entre l’Oxus et le rivage de la mer Caspienne.
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