Le Roman d'Alexandre le Grand
apparurent à l’horizon, alignés sur un front extrêmement
large.
« Les Scythes ! s’écria
Léonnatos. Alerte ! Alerte ! »
Les trompettes sonnèrent,
l’infanterie lourde se rangea en carré autour du périmètre de la nouvelle
ville, et la cavalerie en face.
« Que
faisons-nous ? », demanda Cratère.
Un chef thrace, qui avait jadis
combattu aux côtés de Philippe, s’avança. « Puis-je parler ? dit-il à
Alexandre.
— Bien sûr », répondit le
roi, les yeux toujours rivés sur le front menaçant qui progressait dans la
plaine déserte.
— Je me suis battu contre les
Scythes sur l’Istros avec ton père, et je m’en souviens encore. Malheur à ceux
qui pénètrent sur leur territoire en s’éloignant trop de leurs bases !
Regarde cette prairie : elle s’étend jusqu’à l’Istros, jusqu’aux
frontières de la Macédoine, sans autre interruption que le cours des grands
fleuves, et ces gens-là, ajouta-t-il en indiquant les guerriers dont les
armures d’écailles métalliques étincelaient au soleil, s’y déplacent comme des
poissons dans l’eau. Ils savent s’orienter sur des milliers de stades sans le
moindre repère. Ils se dressent maintenant devant toi en formation frontale,
mais ce n’est pas ainsi qu’ils attaqueront. Dès qu’ils s’ébranleront, ils
commenceront à galoper en cercle autour de nous en restant à portée d’arc, et
ils nous inonderont de dards. Cette tactique permet de blesser des centaines
d’hommes, parfois superficiellement, mais de façon suffisante à les mettre hors
d’état de combattre.
« Les attaques provoquent en
général des réactions. Or ces gens-là n’acceptent pas le combat, ils reculent,
font semblant de fuir pour vous éloigner encore plus de vos bases, puis ils
réapparaissent brusquement, comme des fantômes, et recommencent à vous
encercler en décochant des nuées de flèches jusqu’à ce que vous vous écrouliez
d’épuisement. C’est alors seulement qu’ils lancent un assaut frontal en
exterminant les rescapés. Ils dépouillent leurs cadavres, les décapitent afin
d’exhiber leurs têtes comme des trophées, les scalpent pour orner de cheveux
leurs lances et leurs haches de combat.
— Une coutume
intéressante », commenta Séleucos en passant une main dans sa chevelure.
Alexandre balaya les environs du
regard. Il aperçut le Noir non loin de là, qui surveillait ses hommes, occupés
à monter des tentes. Depuis qu’il avait quitté la table du roi à Cyropolis le
Noir se tenait à l’écart et lui parlait le moins possible, mais il ne put se
dérober quand Alexandre l’appela d’un geste de la main.
« À tes ordres, sire !
répondit-il en s’abritant derrière cette formule impersonnelle dès qu’il fut à
hauteur du roi.
— Je n’ai pas d’ordres à te
donner, répliqua Alexandre. Je voudrais seulement que tu écoutes le récit de
cet ami, qui s’est battu contre les Scythes sur l’Istros.
— Je les ai affrontés moi
aussi, dit Cleitos.
— Alors, que proposes-tu ?
— De rebrousser chemin. »
Alexandre observa le vaste front
ennemi qui semblait à présent immobile au milieu de la steppe. « Tu es
libre de le faire, même si ton expérience et ton courage me seraient plus
nécessaires que jamais, mais je n’ai pas l’habitude de reculer devant un ennemi
en rase campagne.
— Je crois être en mesure de te
faire une suggestion, reprit le Thrace.
— Laquelle ? demanda le
Noir en s’impliquant à contrecœur dans la conversation.
— Envoyons en avant un groupe
assez fort, d’environ un millier d’hommes, faisons-le défiler sur leur droite
comme s’il se dirigeait vers l’intérieur et surveillons leurs mouvements à
l’aide d’une estafette à cheval, disons un homme tous les cinq stades. S’ils ne
bougent pas, envoyons un deuxième contingent avec une deuxième estafette…
— J’ai compris, dit Alexandre.
Quand ils se décideront à attaquer, les estafettes nous avertiront, et nous les
prendrons à revers avec toute la force qui nous est restée.
— Et le plus rapidement
possible. Étant donné la situation, ces hommes-là nous seront précieux »,
ajouta le Thrace en indiquant les cavaliers du contingent perse.
Le Noir grimaça, mais il ne dit mot.
« Alors, le Noir, tu es des
nôtres ? l’interrogea Perdiccas.
— Et où veux-tu que
j’aille ? répondit l’interpellé.
— Qui partira le premier ?
demanda Alexandre.
— Pour
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