Le Roman d'Alexandre le Grand
pertes massives. Quand, dans l’après-midi,
ils comprirent qu’ils étaient voués au massacre, ils se ruèrent tous dans une
brèche, qui s’était soudain ouverte dans le front ennemi. Menés par leur chef,
ils réussirent à s’échapper et à disparaître.
Les soldats macédoniens poussèrent
des cris de joie en levant leurs lances vers le ciel, mais le roi les arrêta.
« Ce n’est pas terminé, dit-il. Nous allons maintenant les poursuivre
jusque dans leurs villages, et nous ferons en sorte qu’ils se souviennent à
jamais d’Alexandre et de ses hétairoï. »
Mais tandis qu’il s’apprêtait à
donner le signal du départ, des courriers surgirent du camp avec un message des
commandants de l’infanterie.
« Sire, le satrape Spitaménès a
soulevé les Bactriens et les Sogdiens, ils attaquent Maracanda. Les commandants
veulent savoir ce qu’ils doivent faire.
— Laissez une garnison dans la
nouvelle ville et retournez à Maracanda. Je vous y rejoindrai dès que j’aurai
achevé mon incursion. »
Après le départ des courriers,
Alexandre se remit en marche dans la plaine, guidé par Oxathrès. Ils avançaient
désormais au pas sur les traces des cavaliers scythes, et l’immense étendue qui
s’ouvrait devant eux les remplissait d’étonnement et de perplexité. Le terrain,
dépourvu de relief, était entièrement nu : il n’y avait pas un arbre, pas
une pierre ou un caillou à sa surface. Derrière eux, les montagnes du
Paropamisos se teignaient de rose sous la lumière du couchant, et les cimes
enneigées scintillaient dans le ciel.
Comme s’il réfléchissait à voix
haute, Ptolémée dit : « Dans l’île d’Eubée, les villes de Chalcis et
d’Érétrie luttèrent férocement entre elles pendant cinquante ans pour la
possession d’une plaine de trente-cinq stades.
— Oui, lui fit écho Perdiccas,
et ici on peut embrasser l’horizon du regard sans voir d’obstacles ou de signes
de présence humaine.
— Et pourtant, ils n’ont pas pu
disparaître dans le néant, observa Héphestion. Ce ne sont pas des fantômes.
— Ce sont des nomades, expliqua
Oxathrès derrière eux. Ils vivent avec leurs familles sur des chariots attelés
à des bœufs. Ils se nourrissent de lait et de viande, et leurs montures sont si
résistantes qu’ils peuvent chevaucher des jours et des nuits entières sans
s’arrêter.
— Jusqu’où s’étendent leurs
terres ? », l’interrogea Alexandre qui n’avait pas oublié les récits
de son père et les batailles qu’il avait menées contre les Scythes, au-delà de
l’Istros.
« Personne ne le sait, répondit
le Perse.
— Selon certains, intervint
Séleucos, elles confinent avec les Hyperboréens au nord, et à l’est avec les
Issédones, qui se nourrissent exclusivement de lait de jument.
— Risquons-nous de nous
perdre ? demanda Léonnatos en scrutant d’un air inquiet l’immense steppe.
— Impossible, le rassura
Séleucos. Nous avons les montagnes dans le dos et l’Iaxartes à notre gauche.
Quoi qu’il en soit, je pense qu’il vaudrait mieux rebrousser chemin, étant
donné la situation à Maracanda. »
Alexandre poursuivit sa route en silence :
il entendait ainsi mettre ses compagnons à l’épreuve, mesurer leur fidélité,
leur amitié et leur détermination face à ces terres inconnues. Soudain, les
traces des Scythes disparurent complètement, comme si leurs chevaux s’étaient
envolés.
« Par Zeus ! »,
s’exclama Perdiccas.
Oxathrès sauta à terre et examina le
terrain. « Ils ont bandé les sabots des chevaux, ils ne laissent donc
aucune trace sur cette herbe sèche. Mes Scythes parviendront toutefois à les
débusquer.
— Alors continuons »,
ordonna le roi.
Ils reprirent leur route et
marchèrent jusqu’à ce que la nuit tombe. Le paysage fut englouti par
l’obscurité, et les éclaireurs scythes d’Oxathrès furent eux aussi contraints
de se résigner. Alexandre déclara alors qu’il était temps d’observer une pause,
et les trompettes embouchèrent leurs instruments pour en avertir les soldats.
Ceux-ci étendirent leurs manteaux sur le sol et s’y assirent pour consommer un
repas frugal composé de pain et de viande séchée. Ils burent de l’eau à leurs
gourdes en songeant qu’ils n’avaient jamais dîné aussi chichement depuis bien
longtemps. Et pourtant, il régnait une grande paix dans ces lieux : la
lune, presque pleine, surgissait derrière les montagnes en
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